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ou moins réconcilié avec la monarchie de Juillet, tenait à avoir l’appui du gouvernement français. Il le recherchait et il l’obtenait jusqu’à un certain point dans toutes les affaires qui semblaient préparer à l’Europe des épreuves nouvelles. À partir de la fin de 1846 surtout, le désir de se concerter, de penser et de marcher ensemble, devenait plus vif. M. Guizot se sentait visiblement flatté de la confiance que lui témoignait M. de Metternich, et il s’appliquait à son tour à flatter le vieil orgueil de celui que Lamartine appelait en pleine chambre le « Nestor de la diplomatie ! » Le chef du cabinet français ne négligeait rien pour transmettre sa pensée à Vienne par M. de Flahault, qui avait, depuis quelques années, remplacé M. de Sainte-Aulaire, par un confident clandestin, par des lettres destinées à affermir et à utiliser l’intimité croissante.


Les conversations de votre Altesse avec M.., écrivait un jour M. Guizot, ne me laissent qu’un regret, mais bien vif, c’est de ne les avoir pas eues moi-même. On ne s’entend vraiment que lorsqu’on se parle. Faute de cela et en attendant cela, car je n’en veux pas désespérer, je serai heureux de vous écrire et que vous m’écriviez, et que nos communications, si elles restent lointaines, soient du moins personnelles et intimes. Ce ne sera pas assez, mais ce sera mieux pour les affaires…. Nous sommes placés à des points bien différens de l’horizon, mais nous vivons dans le même horizon. Au fond et au-dessus de toutes les questions, vous voyez la question sociale. J’en suis aussi préoccupé que vous. Nos sociétés modernes ne sont pas en état de décadence ; mais par une coïncidence qui ne s’était pas encore rencontrée dans l’histoire du monde, elles sont à la fois en état de développement et de désorganisation, pleines de vitalité et en proie à un mal qui devient mortel s’il dure, l’esprit d’anarchie. Avec des points de départ et des moyens d’action fort divers, nous luttons, vous et moi, j’ai l’orgueil de le croire, pour les préserver ou les guérir de ce mal. C’est là notre alliance. C’est par là que, sans conventions spéciales et apparentes, nous pouvons partout et en toute grande occasion nous entendre et nous seconder mutuellement…. À l’Occident et au centre de l’Europe, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, c’est la question sociale qui fermente et domine. Il y a là des révolutions à finir ou à prévenir… Ce n’est qu’avec le concours de la France, de la politique conservatrice française, qu’on peut lutter efficacement contre l’esprit révolutionnaire et anarchique dans les pays où il souffle… La politique d’entente et d’action commune est donc entre nous naturelle et fondée en fait, et j’ai la confiance que, pratiquée avec autant de suite que peu de bruit, elle sera aussi efficace que naturelle. Je suis charmé de voir, mon prince, que vous avez aussi cette confiance, et je tiens à grand honneur ce que vous voulez bien penser de moi…