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V

Une insurrection avait éclaté à Cracovie ; elle avait provoqué une répression sanglante, impitoyable, qui avait douloureusement retenti sur le continent, et, de plus, elle avait été suivie d’une intervention des trois puissances du Nord, d’une incorporation de la petite république de Cracovie à l’Autriche, qui était une violation des traités de vienne. Première difficulté ! — Une autre question plus grave, moins lointaine, était la lutte engagée depuis bien des années, mais particulièrement depuis 1844, en Suisse, entre le radicalisme envahissant et les petits cantons catholiques, Lucerne, Zug, Schwitz, Fribourg, Neufchâtel. Aux défis révolutionnaires des radicaux de Berne, de Zurich, procédant par des invasions de corps francs, les petits cantons opposaient leurs droits, leur indépendance, leur foi religieuse, et, à la dernière extrémité, une ligue de défense, la résistance à main armée. La lutte s’envenimait par degrés, et elle allait bientôt conduire à la guerre civile, à la guerre du Sonderbund, où succombaient les petits cantons sous le poids d’une exécution fédérale ou radicale. Or, ce n’était pas là seulement une affaire intérieure entre Suisses. Le conflit mettait en cause toute une situation internationale, la neutralité helvétique définie et sanctionnée au congrès de vienne, la nature des rapports fédéraux reconnus par les traités, les intérêts des états limitrophes. Que feraient les puissances pour sauvegarder la souveraineté cantonale, condition de la neutralité suisse, pour contenir le radicalisme dans des tentatives de révolution qui menaçaient à la fois la constitution fédérale et les pays voisins ? — D’un autre côté enfin, l’Italie entrait en effervescence. L’élection du pape Pie IX venait d’enflammer tous les esprits en ouvrant des perspectives nouvelles. Le mouvement, parti de Rome, gagnait rapidement Florence, bientôt Turin et Naples, sans compter Milan et Venise. De libéral qu’il paraissait être d’abord, il ne tardait pas à devenir national, et ici encore s’élevait la grande, la redoutable question ; si les agitations italiennes restaient une affaire tout intérieure, si elles n’avaient d’autre objet que la conquête de réformes libérales, rien de mieux ; si elles allaient jusqu’à attaquer l’ordre politique créé par les traités de 1815, jusqu’à menacer la domination impériale en Lombardie, l’Autriche était résolue à se défendre, à maintenir ses droits. L’Autriche se croyait, de plus, assurée d’être soutenue par d’autres puissances, au moins par la Russie, et on touchait à un conflit universel ; on revenait à la crise révolutionnaire et guerrière de 1831 dans des conditions infiniment aggravées.

C’est sur ces points délicats, épineux, que M. de Metternich, plus