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impunité, » qu’ils avaient engagé une grosse partie. « Je crois, écrivait-il au comte Apponyi, qu’à Paris on se fait illusion sur la véritable situation en Angleterre. Voici la vérité sans détour. Lord Palmerston est très mauvais coucheur. Il veut se venger de tout ce qui ne marche pas dans son sens : que celui-ci soit droit ou de travers, peu lui importe. Il a engagé la querelle avec M. Guizot, il ne lâchera pas prise. Ses collègues sont peu soucieux de l’affaire, car ils ne croient pas qu’elle puisse dépasser les proportions d’une dispute… Lord Palmerston se trouverait sans un appui décisif, si la reine n’était blessée au vif par ce qu’elle qualifie d’indélicatesse de la part du roi Louis-Philippe… Il y a ainsi deux sentimens qui se rencontrent. Celui de la reine à l’égard de Louis-Philippe et celui de Palmerston à l’égard de M. Guizot. C’est Eu qui est toujours présent à l’esprit de la reine ; les caresses qui lui ont été prodiguées ont à ses yeux la valeur de griefs. Elle ne sera pas facile à ramener… Lord Palmerston fait flèche de tout bois, et il est un tireur passionné et audacieux… » Il écrivait ceci pour être répété au roi. Le chancelier ne croyait pas que l’incident espagnol dût conduire les deux puissances à un conflit prochain ; il croyait que tout était changé dans les alliances, que la France se trouvait dans la situation la plus difficile, que l’Angleterre saisirait toutes les occasions de lui faire une « guerre de chicanes, » et pour lui, il concluait qu’il fallait « mettre en panne en ce qui concerne les affaires espagnoles. »

Au fond, sans l’avouer, avec toutes les réserves et les libertés de propos où se plaisait son esprit, par son attitude même, M. de Metternich avait servi la France dans cette crise des mariages espagnols ; il l’avait sûrement servie par son refus de s’associer à la campagne de protestations que lord Palmerston essayait d’organiser et qui ne tendait à rien moins qu’à renouer une coalition contre nous. Peut-être le chancelier se sentait-il d’autant plus disposé à ménager la France, à lui passer, pour ainsi dire, une satisfaction dynastique à Madrid, qu’il voyait les affaires de l’Europe se compliquer, les questions les plus dangereuses se presser de toutes parts, et qu’il pensait s’assurer un allié utile à Paris. La France, dans les conditions d’isolement que lui créait l’acrimonie violente et menaçante de lord Palmerston, avait besoin de chercher des appuis en Europe ; M. de Metternich, à son tour, avait besoin de la France dans l’ère troublée où l’on entrait. Les difficultés ne manquaient pas, en effet, vers cette époque de 1846-1847, au moment où le roi Louis-Philippe et M. Guizot venaient de jouer la périlleuse partie des mariages espagnols.