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crois bien savoir ce que veut M. Guizot, disait-il, je ne sais pas ce qu’il peut. » De là une politique assez insaisissable, quoique ayant la prétention d’être invariable, passant perpétuellement de la cordialité à la défiance, à la réserve et au doute. Le chancelier ne voulait pas créer des difficultés au gouvernement français ; il lui reprochait, au contraire, de se créer lui-même des embarras par ce qu’il appelait un système de « grappillage dans toutes les directions, » de se laisser entraîner par des ambitions d’influence, « sur vingt points différens, en Amérique et dans les mers du Sud. » Il lui reprochait aussi de se payer d’illusions et de mots dans ses relations avec l’Angleterre, de faire de la politique de vanité et d’apparat avec les visites de la reine Victoria à Eu, du roi Louis-Philippe à Windsor, de croire qu’il allait renouer l’ancienne alliance libérale en la décorant du nom nouveau d’entente cordiale. « La visite à Eu, disait-il, n’a été qu’une scène de la pièce qui se joue et dans laquelle tout le monde, auteur, acteurs et spectateurs, est mystifié ou mystificateur. » L’alliance, après ce qui s’était passé en 1840, n’était plus qu’une « fantasmagorie, » une fiction qui ne résistait pas à la moindre querelle de missionnaires dans l’Océan-Pacifique ! M. de Metternich mettait peut-être quelque calcul personnel ou quelque dépit dans ses antipathies contre ces apparences d’intimité renaissante entre les deux puissances libérales, contre cette « entente cordiale » dont il ne parlait qu’avec toute sorte de railleries ; il ne manquait pas non plus d’une certaine clairvoyance. Le fait est qu’avant peu « l’entente cordiale » allait être mise à une épreuve décisive par ce qui est resté dans l’histoire « l’affaire des mariages espagnols, » — et ici, il faut l’avouer, M. de Metternich, par son habile et savante mesure, n’était point sans prêter un précieux secours au roi Louis-Philippe et à M. Guizot.

Cette affaire espagnole, qui a joué un si grand rôle sous la monarchie de Juillet, qui avait fait son entrée dans la politique européenne avec la royauté d’Isabelle II, et avec la guerre civile qui en était la suite, avait été dès l’origine l’objet de communications intimes entre le souverain français et le chancelier de vienne. On s’entendait à demi en suivant des politiques différentes ; on jouait peut-être aussi un jeu singulièrement compliqué, où le dernier mot restait toujours réservé. En réalité, le roi, par un sentiment de fidélité aux traditions bourboniennes, par une prévoyance de chef de dynastie, aurait préféré maintenir l’hérédité salique à Madrid ; il ne l’avait pas caché dans une conversation intime qu’il avait eue avec le prince Esterhazy, chargé de tout redire à M. de Metternich ; et l’homme éminent qui dirigeait alors les affaires étrangères dans le cabinet des Tuileries, le duc de Broglie, avait la même opinion. Il