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traiter ensemble bien des affaires de l’Europe, — et même d’épuiser ensemble leur règne !


IV

Ramener l’ordre et l’esprit de conservation dans les affaires intérieures de la France, la paix et l’esprit de conciliation dans les rapports avec l’Europe, renouer, en un mot, la tradition de Casimir Perier dans des conditions singulièrement modifiées depuis dix ans, c’était la politique de M. Guizot, aussi bien que du roi Louis-Philippe. Souverain et ministre s’attachaient à cette œuvre, l’un avec une habile expérience des hommes et des intérêts, l’autre avec l’autorité croissante d’un talent fait pour le pouvoir et un optimisme éloquent. Ils se flattaient de raffermir et de fixer le régime. Ils pouvaient réussir, sans doute, pour quelques années ; ils avaient au moins l’apparence et l’illusion du succès. Ils ne comptaient pas assez avec les difficultés toujours prêtes à renaître, avec les contretemps, avec l’imprévu, avec tout ce qui pouvait tromper leurs calculs. Ils ne s’attendaient pas, ils ne pouvaient pas s’attendre avoir la monarchie de Juillet frappée dans ses espérances et dans son avenir par la mort prématurée et cruelle du duc d’Orléans, allant butter du front sur le pavé d’une route, le 13 juillet 1842. — Ils croyaient effacer les dernières traces de la crise de 1840, préparée par lord Palmerston, et pouvoir renouer, avec de nouveaux ministres, sir Robert Peel, lord Aberdeen, la vieille alliance anglaise sous le nom « d’entente cordiale. » Ils semblaient même avoir réussi un moment à sceller l’intimité des dynasties par un échange de visites de la reine Victoria à Eu, du roi Louis-Philippe à Windsor. Ils s’abusaient encore : ils retrouvaient bientôt devant eux l’ironique ennemi, lord Palmerston ; les relations avec l’Angleterre ne cessaient d’être troublées par une série d’incidens : le droit de visite, Taïti, le Maroc, jusqu’au jour des « mariages espagnols, » où elles prenaient un caractère plus violent, plus passionné que jamais. Le roi et M. Guizot ne voyaient pas surtout qu’en dehors ou au-dessous de cette paix apparente et officielle qu’ils avaient créée, qu’ils maintenaient avec art, il y avait toute sorte de fermens, d’inquiétudes, d’impatiences ou de malaises d’opinion qui menaçaient l’avenir. Pour le moment, ils avaient le succès, ils croyaient avoir trouvé le secret de la durée du règne.

Cette expérience, M. de Metternich la suivait avec un intérêt qu’il n’avait pas caché dès les premiers jours de l’avènement du ministère de M. Guizot et qu’il ne cessait de témoigner plus vivement à mesure que se dessinait la politique nouvelle. Ce n’est pas qu’il fût réconcilié avec « l’ordre de choses » de 1830. Toutes les fois qu’il le pouvait,