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moi qui ai sauvé le pacha d’Egypte. Tout le monde se joindra à cette prétention, et nous les premiers. » Il tenait à ce qu’on sût bien à Paris que l’Autriche s’abstiendrait de toute attaque contre l’Egypte, et qu’elle s’en abstiendrait « par égard pour la France ; » il autorisait même M. Guizot à se servir de cette déclaration, et il n’hésitait pas bientôt à ajouter que, s’il plaisait à lord Palmerston de prolonger la querelle, « l’affaire n’en serait pas moins arrivée à sa fin pour l’Autriche et pour l’Europe… » En un mot, il avait hâte d’en finir avec une crise dont il sentait la gravité, — qu’il ne regrettait pas toutefois, puisqu’elle avait L’avantage de décider une victoire de l’esprit conservateur à Paris, et peut-être aussi de rompre pour longtemps l’alliance libérale de la France et de l’Angleterre.

« L’Europe tout entière veut une France conservatrice, » disait-il. Le roi Louis-Philippe ne pensait pas autrement que l’Europe ; M. Guizot revenait de son ambassade de Londres pour être le ministre de cette politique ; — et, par le fait, s’il y a dans le règne une phase où les rapports du chancelier de Vienne avec le régime de Juillet aient pris un caractère d’intimité suivie, habituelle, quoique toujours libre, c’est cette période qui commence au lendemain de 1840, à laquelle le nom de M. Guizot reste attaché. Depuis dix ans déjà, M. de Metternich avait vu passer en France bien des ministres qu’il jugeait à sa manière. Il avait subi bon gré mal gré l’ascendant du génie consulaire de Casimir Perier, le modérateur, et on pourrait dire l’organisateur de la révolution de 18S0. Il n’avait supporté qu’avec une impatience mêlée d’irritation la hauteur un peu raide du duc de Broglie, le grand seigneur libéral, aussi peu commode pour la diplomatie étrangère que pour le roi lui-même. Il avait eu un moment du goût pour M. Molé, qui alliait au sens pratique des affaires, au tact délicat et sûr de l’homme d’état, l’aisance de l’homme du monde. Il avait vu, en M. Thiers, un agitateur révolutionnaire, — plus révolutionnaire peut-être d’entraînement que d’intention. Il voyait maintenant M. Guizot, et prenait promptement confiance en lui. Il s’intéressait à ses luttes dans les chambres, à ses succès, à sa durée. « Que M. Guizot triomphe chez lui, disait-il bientôt en le voyant s’affermir, il peut être sûr de l’appui moral des hommes de bien du dehors. Un pays ne saurait prospérer sous le poids du changement perpétuel des gouvernemens : que l’administration actuelle se soutienne, et, par cela même, elle deviendra forte, car il n’y a pas un esprit bien fait en Europe qui ne désire que la France soit libre de ses mouvemens, quand ceux qui sont appelés à la diriger sont eux-mêmes honnêtes et prudens… » Et M. Guizot durait, en effet : il durait assez pour que le chancelier d’Autriche et le ministre français eussent le temps de