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dans les affaires européennes, de sa fermeté dans la défense de l’ordre et de la paix. M. de Metternich le reconnaissait jusqu’à un certain point ; il en faisait surtout honneur au roi, dont il admirait la patience avisée au milieu des partis, la sagesse et la dextérité dans les momens difficiles. Il n’en était pas plus rassuré ; tout au plus convenait-il que la « maladie de Juillet, » comme il l’appelait, au lieu d’être « inflammatoire, » n’était plus que « chronique » et laissait vivre le malade. Il ne cessait de voir dans la France de 1830 la nation agitée et agitatrice, à peine contenue par son prince, toujours prête aux éruptions révolutionnaires et aux impatiences guerrières. Il la jugeait à sa manière, comme il la voyait avec ses préventions, — « voulante, agissante, ambitieuse, capable d’être un fléau pour l’Europe. » Il lui reprochait ses jactances, ses complicités dans toutes les propagandes, ses vanités irritantes de prépotence. « A Paris, disait-il, on ne voit que soi, et l’on oublie que par là on excite à en user de même à l’égard de la France ceux avec qui l’on entend entrer en affaires. Tout pour et par la France est un mot qui sonne bien à des oreilles françaises, mais qui déchire toutes les autres. Vivre et laisser vivre est un précepte tombé en désuétude dans les Gaules, et le résultat en est que l’on n’y avance en rien… » Sans être un ennemi déclaré, en affectant au contraire une impartialité apparente dont les relations familières avec le roi lui faisaient une convenance, le chancelier ne désarmait jamais qu’à demi ; il ne laissait échapper aucune occasion de susciter des difficultés au régime de 1830, de lui faire sentir son isolement en Europe, — et il le prouvait bientôt dans une des crises les plus graves que la monarchie de Juillet ait traversées, dans cette crise orientale de 1840, où la France se trouvait tout à coup en face d’une coalition.

La France, à dire vrai, s’était un peu exposée à ce qui lui arrivait. Elle s’était attachée avec une sorte de passion à cette question d’Orient, qu’elle voyait renaître en 1839. Elle s’était dit qu’en multipliant, depuis dix ans, les gages de modération en Belgique, en Italie, en Espagne, elle n’avait pas été toujours heureuse, et elle pensait que les affaires orientales pouvaient lui offrir un glorieux dédommagement. Elle le croyait d’autant plus qu’elle avait lié sa cause à la fortune de l’homme qui semblait disposer de la paix de l’Orient, du vieux et habile vice-roi d’Egypte, Méhémet-Ali, dont le fils Ibrahim-Pacha venait de disperser l’armée turque à Nezib. Elle se flattait aussi de trouver les cabinets européens divisés et de pouvoir, avec un peu d’adresse, profiter de ces divisions pour faire accepter une solution qui attesterait et confirmerait son influence dans le Levant. M. Thiers, revenu au pouvoir le 1er mars 1840, n’avait pas créé cette politique ; il l’avait trouvée engagée, il