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Tout ce qui était faveur apparente, sympathie publique, politesse de cour, les princes l’avaient gagné par leur bonne grâce. Restait cependant la grande affaire pour laquelle ils avaient été envoyés à Vienne, la « bataille » dont M. Thiers avait parlé, et c’est là que se retrouvait le vieil esprit d’absolutisme, tenace, invincible dans ses défiances et ses antipathies secrètes. Au premier abord, il est vrai, le succès aurait pu n’être point impossible. L’archiduchesse Thérèse, choisie pour un mariage avec le duc d’Orléans, ne semblait pas éloignée d’accepter la destinée d’une princesse royale de France. Elle était vivement encouragée dans son goût par ses frères, dont l’un, l’archiduc Albert, devait être un jour le généralissime habile et heureux des armées autrichiennes, et son père, l’illustre archiduc Charles, l’ancien adversaire de Napoléon, avait été séduit par le jeune prince français. Les sympathies de l’archiduc Charles et de sa fille se manifestaient même dans une scène pathétique dont le duc d’Orléans avait la délicatesse de ne point abuser. L’opposition venait de l’empereur Ferdinand, de l’archiduc Louis, qui avait alors une part prépondérante dans le gouvernement, de l’archiduchesse Sophie, la mère de l’empereur François-Joseph, aujourd’hui régnant. Le duc d’Orléans quittait vienne sans avoir conquis sa princesse ; rien du moins n’avait été décidé. Un instant encore, après la rentrée des princes à Paris, une dernière tentative était faite par M. Thiers, dans une lettre d’un langage élevé et pressant, destinée à M. de Metternich, — par le duc d’Orléans lui-même auprès de l’archiduc Charles ; on n’obtenait cette fois qu’un refus définitif, absolu et poli. Le chancelier, qui, sûrement, n’avait point été étranger aux résolutions de la cour-de vienne, restait chargé de couvrir la retraite, d’atténuer ce qu’il y avait de désobligeant dans ce refus. Il invoquait la timidité de l’archiduchesse, le péril, les attentats, — et il y en avait en 1836 comme en 1835, — auxquels la famille royale de France ne cessait d’être exposée. Il se plaignait de la précipitation qu’on avait mise dans une telle affaire ; « on n’enlève rien d’assaut à Vienne, disait-il, ni le cabinet ni une princesse. » Et, peu après, dans ses lettres confidentielles à son ambassadeur à Paris, il avouait la vraie raison : « Personne, ajoutait-il, ne mettra en doute que la maison d’Orléans ne soit une grande et illustre maison ; c’est le trône du 7 août qui la rapetisse. Le duc de Chartres eût été un parti plus désirable ; le prince royal des Français ne l’est pas… »

Éternelle dérision de la prévoyance des hommes d’état ! on refusait l’archiduchesse Thérèse au duc d’Orléans parce qu’il y avait trop de périls, parce qu’on voyait toujours la révolution près de se déchaîner en France ; on la donnait peu après, pour plus de sûreté, au roi Ferdinand de Naples, — et depuis longtemps les Bourbons