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semblait plus ardent encore que la reine et le roi. Il subordonnait pour le moment toute la politique française à la grande idée ! L’ambassadeur de France à Vienne, M. de Sainte-Aulaire, homme d’un esprit fin et sensé, ne cachait pas, il est vrai, qu’il n’y avait guère de chance de succès, que mieux vaudrait attendre. Le roi brûlait d’en finir ; M. Thiers écrivait, avec sa familiarité hardie, qu’il fallait « aborder de telles affaires de front, livrer la bataille avec toutes ses forces, » — et, aux premiers jours de mai 1836, le duc d’Orléans et le duc de Nemours quittaient Paris pour leur tournée européenne.

Les deux princes étaient alors des modèles, l’un par son allure élégante, par sa fierté aisée, par la grâce de son visage et de son esprit, l’autre par sa dignité simple et modeste. Ils avaient commencé leur voyage par Berlin, où ils gagnaient promptement le vieux roi Frédéric-Guillaume III et tout le monde de la cour, le prince Wittgenstein, qui déclarait qu’il n’y avait rien de mieux que ces jeunes gens, le ministre des affaires étrangères, M. Ancillon, qui écrivait que « les mécontens eux-mêmes avaient été réduits au silence ; » mais ce qui se passait à Berlin n’était que le prélude de la vraie et décisive « bataille » qui devait se livrer à Vienne, où les jeunes gens étaient attendus avec une certaine curiosité, où M. de Sainte-Aulaire avait habilement préparé leur arrivée. En quelques jours, le duc d’Orléans et le duc de Nemours avaient réussi à dissiper toutes les préventions et à séduire cette vieille aristocratie autrichienne par leur tenue, par leur tact. La difficile princesse de Metternich elle-même, quelque peu guindée d’abord et exigeante sur les hommages qui lui étaient dus, finissait par s’adoucir. Elle a écrit assez plaisamment dans son Journal : « A huit heures, je suis allée chez Sainte-Aulaire. Je dois l’avouer, j’étais légèrement irritée. Je trouvais inconvenant que ces princes ne fussent pas venus chez moi et qu’il me fallût venir les chercher chez l’ambassadeur. L’air embarrassé de Sainte-Aulaire me rendit mon calme. Il me présenta le duc d’Orléans, qui est grand et d’un extérieur agréable. La conversation a été aussi insignifiante que possible… » La fière princesse ne dédaignait pas, le lendemain, d’ouvrir un bal avec le duc d’Orléans, et, après une de ses réceptions, elle écrit dans son Journal : « J’ai eu une agréable soirée, très animée et très jolie. Les princes ont soupe chez moi, et, en se retirant, ils m’ont remerciée de mon hospitalité… » C’était fort heureux que Mme de Metternich voulût bien reconnaître la bonne éducation de ces princes « révolutionnaires, » qui pouvaient passer après tout pour les premiers gentilshommes de l’Europe. Le chancelier, pour sa part, n’hésitait point à déclarer qu’ils étaient parfaits de ton, de manières, qu’ils laissaient la plus favorable impression à Vienne.