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tenue, par son habitude des grandes affaires, peut-être aussi parce qu’il était moins que les autres hommes un a homme de juillet. » Celui qui devait avant la fin du règne avoir, le plus sa confiance, c’est M. Guizot, à qui il pardonnait presque d’avoir été doctrinaire. Il les a tous marqués d’un trait dans ses Mémoires ; mais à travers les ministres qui se succédaient, le chancelier voyait avant tout le roi, dont il n’avait pas tardé à démêler les idées, l’action personnelle et la tactique. « Dans la boutique, disait-il familièrement, il n’y a aucun homme de caractère, si ce n’est le roi lui-même… » Dès les premières années, on pourrait dire dès les premiers mois, le chancelier et le prince s’étaient compris, et un des phénomènes les plus curieux du temps est cette intimité croissante, familière, toujours libre, de deux personnages si différens de l’histoire.

Devenu le roi de la révolution, Louis-Philippe était entré dans le règne avec un esprit ferme, le goût du gouvernement, l’expérience des affaires, surtout avec la volonté généreuse au tant que prévoyante de détourner de la France l’anarchie intérieure et les périls de la guerre. Sans manquer aux règles constitutionnelles, sans diminuer les ministres, il entendait sûrement avoir, lui aussi, ses opinions, son influence ; il avait un sentiment élevé de sa responsabilité morale. Il pouvait plier en apparence ou pour un moment avec des hommes comme Casimir Perier ; il suivait ses idées avec une persévérance souple, quelquefois avec résolution, quand il voyait les intérêts extérieurs du pays en jeu. Il avait sa politique, il ne la cachait pas, il la développait au contraire à tout propos, avec une inépuisable facilité de parole, dans ses conversations avec les représentons étrangers, M. Apponyi, M. Pozzo di Borgo, M. de Werther. Il se plaisait à ces entretiens où il émerveillait et rassurait ses interlocuteurs, où il parlait souvent aussi de ses difficultés intérieures avec ses cabinets, qu’il appelait ses « relais de poste, » et d’où les ambassadeurs sortaient avec l’impression que le roi était « le maître, le directeur » de la politique en France, que sa volonté aurait toujours le dernier mot. Le roi était et tenait à paraître son propre ministre des affaires étrangères en dehors de sa diplomatie officielle. A son avènement, Louis-Philippe, d’intelligence avec M. de Talleyrand, envoyé à Londres, avait su s’assurer l’alliance anglaise, qui l’avait aidé à traverser les premières crises du règne. Il en sentait le prix, il en avait peut-être l’illusion. Il avait pu ainsi maintenir un camp de diplomatie libérale opposé au camp absolutiste en Europe. C’était sa force ; c’était le secret du traité qu’il signait encore avec l’Angleterre en 1834, au début de la guerre civile espagnole, en faveur de la royauté libérale d’Isabelle II ; mais il n’en était plus déjà à se contenter de l’alliance anglaise, que l’humeur querelleuse et jalouse de lord Palmerston rendait bientôt