Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un Journal souvent insignifiant, quelquefois curieux, qui est comme la partie intime des Mémoires du prince, en même temps que la relation naïve de la vie, des pensées, des impressions de cette brillante femme. Avec elle, la chancellerie s’était complétée par un salon hospitalier qui avait parfois ses grandes réceptions peuplées d’archiducs et de princes, qui avait aussi ses réunions plus libres, plus familières, où passaient tour à tour les voyageurs de distinction, comme Berryer ou Balzac, Marmont ou Humboldt, les ambassadeurs et les ministres de tous les pays. Mme de Metternich se défendait volontiers d’avoir une influence dans les affaires et de se mêler de politique. Elle s’en mêlait souvent plus qu’elle ne l’avouait, et sa vanité, on le voit dans son Journal, ne résistait pas au plaisir de donner des consultations, de dire de « fortes vérités, » ou à une flatterie de l’empereur Nicolas recherchant son approbation. Elle représentait en politique le plus pur esprit d’ancien régime.

Elle avait surtout une antipathie de grande dame contre la France de juillet, contre le roi Louis-Philippe, et elle ne laissait pas de créer quelquefois des embarras au chancelier : témoin son aventure de bal avec M. de Sainte-Aulaire, qui venait d’arriver à Vienne comme ambassadeur à la place du maréchal Maison, et avec qui, d’ailleurs, elle n’avait eu dès l’abord que de gracieuses relations. A M. de Sainte-Aulaire admirant une couronne de diamans qui ornait son front, elle répondait lestement : « Ma couronne est ce qu’elle est ; si elle n’était pas ma propriété, je ne la porterais pas, elle n’a pas été volée ! » L’allusion pouvait passer pour impertinente. Ce fut sur le moment une grosse affaire qui allait retentir à Paris, où les journaux royalistes se hâtaient d’envenimer le propos en le commentant. L’ambassadeur, homme de bon ton et de bon esprit, était d’abord un peu embarrassé, ne sachant s’il devait se fâcher ou traiter légèrement une parole légère. On négocia moitié sérieusement, moitié plaisamment. Le chancelier dut intervenir pour dégager la princesse avec son aisance mondaine. Il arrangeait tout en redoublant de soins avec un ambassadeur qu’il goûtait, en évitant, dans ses relations avec l’ancienne famille royale réfugiée à Prague, tout ce qui aurait pu offusquer le gouvernement de Paris, en traitant même assez vertement les légitimistes français et leur opposition. La vérité, M. de Sainte-Aulaire l’avait laissé entrevoir, dès son arrivée à Vienne, même avant sa mésaventure, en écrivant à Paris : « Ce que j’ai déjà bien vu, c’est qu’on nous déteste, personnes et choses, ne nous flattons pas à cet égard ; mais la cour et les ministres sont généralement sans passion… Ils cherchent bonnement leurs intérêts, aiment le repos et la paix, et se coucheront près de nous si nous ne les empêchons pas de dormir… »