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combattre encore dans ce qu’elle avait de plus puissant, de plus glorieux, sous l’empire de Napoléon, et il s’était flatté de l’avoir vaincue. Il l’avait revue atténuée, mitigée, déguisée, mais toujours vivante sous la restauration. Il la retrouvait maintenant sous la forme et la figure d’un prince élu des barricades, d’une monarchie constitutionnelle sortie d’une convulsion populaire. Pour lui, sous des figures différentes, c’était toujours la même ennemie, devenue avec les années de plus en plus dangereuse, — et de ce ton de Cassandre qu’il prenait quelquefois, il écrivait, sous le coup de l’explosion de juillet, à M. de Nesselrode, qu’il venait de rencontrer à Carlsbad : « Ma pensée la plus secrète est que la vieille Europe est au commencement de la fin. Décidé à périr avec elle, je saurai faire mon devoir… La nouvelle Europe, d’un autre côté, n’est pas à son commencement. Entre la fin et le commencement se trouvera un chaos… » C’était une boutade sibylline du chancelier de la sainte-alliance parlant au chancelier russe pour échauffer son zèle conservateur. Que ferait-il réellement ? Comment allait-il se conduire avec « l’ordre de choses » de juillet ? Il avait l’occasion de préciser ses idées ou ses impressions, dès la fin d’août, dans des entretiens avec le général Belliard, envoyé de Paris à Vienne pour obtenir la reconnaissance du nouveau gouvernement, et aussi pour porter, avec la pensée secrète du roi, les déclarations les plus pacifiques, l’assurance du respect des traités, des intentions les plus conservatrices.

Le chancelier d’Autriche ne déguisait pas sa mauvaise humeur devant l’envoyé du Palais-Royal. Il ne cachait pas qu’à vienne on « abhorrait » ce qui venait de se passer en France, qu’on ne croyait ni à la force ni à la durée du régime issu de la « catastrophe de juillet. » Il se défendait cependant de toute hostilité systématique, de toute arrière-pensée d’intervention dans les affaires intérieures de ce « grand et malheureux pays » de France. Il se montrait prêt à reconnaître le nouveau gouvernement pour ce qu’il était, comme « le moindre des maux, » dans un péril d’anarchie universelle. Il acceptait ses protestations pacifiques et conservatrices pour ce qu’elles valaient, en le prévenant avec quelque solennité qu’au moindre empiétement, « au moindre écart, » il rencontrerait devant lui l’Europe résolue à maintenir les traités, à repousser les provocations et les propagandes révolutionnaires. M. de Metternich, en reconnaissant le gouvernement de Juillet, se donnait le plaisir hautain de commencer par lui faire la leçon. Se retrancher sur le terrain des traités où il se flattait toujours de rallier l’Europe, combattre toutes les propagandes, enchaîner, s’il le pouvait, la nouvelle monarchie de France par ses intérêts conservateurs comme par ses déclarations, c’était désormais toute sa diplomatie. Et cette politique, il la suivait, il allait la suivre pendant dix-huit ans, avec la souplesse d’un esprit