Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apaiser les orages. Dès les premiers momens, deux courans, deux politiques s’entre-choquaient à Paris. Les uns, emportés par leurs passions et leur imprévoyance, ne tendaient à rien moins qu’à compromettre la révolution nouvelle dans toutes les aventures, à faire du régime de juillet l’allié ou le complice, le protecteur armé de la sédition universelle. Ils mêlaient dans leurs opinions la haine des Bourbons, les ressentimens de 1815, le fanatisme de l’esprit de propagande et de conquête, le besoin et le goût du mouvement. Au fond, tout leur programme se réduisait à deux choses : l’anarchie à l’intérieur, la guerre au dehors ! Les autres, sans désavouer une révolution qui était le couronnement de leur opposition de quinze ans, sans la diminuer dans son caractère libéral, sans l’abaisser devant l’étranger, se préoccupaient aussitôt de la fixer et de l’organiser, de disputer le régime nouveau aux factions. Ils sentaient la nécessité de ne pas laisser se prolonger « l’état révolutionnaire après la victoire, » de rassurer en même temps l’Europe, de prévenir les coalitions. A la politique des agitations indéfinies et de la guerre, ils opposaient la politique de l’ordre et de la paix. A côté du prince qui venait de ceindre la couronne et qui, plus que tout autre, sentait le péril, allait s’illustrer entre tous celui qui est resté la figure la plus originale et la plus saisissante de ces temps troubles, l’homme d’état de la résistance, le ministre héroïque qui fondait et sauvait la monarchie nouvelle en dévouant sa vie : Casimir Perier ! — C’est ce drame qui commence dès le lendemain de juillet, qui se déroule d’année en année à travers d’incessantes péripéties, mettant en scène et en présence toutes les politiques, la France renouvelée et la vieille Europe absolutiste[1].

Au début, l’issue n’était rien moins que sûre. Tout restait provisoirement énigmatique dans cette crise de juillet, qui, aux yeux des gouvernemens conservateurs, apparaissait comme une redoutable expérience de plus, comme une recrudescence de la révolution française menaçant encore une fois tous les états. Doyen des chancelleries, considéré et consulté comme le représentant d’un système de diplomatie, d’une tradition politique, appelé plus que tout autre à donner le ton à l’Europe, M. de Metternich ne laissait pas d’être embarrassé et troublé en retrouvant devant lui une vieille ennemie dont il se croyait l’antagoniste prédestiné. Cette ennemie, — la révolution française, — il l’avait vue et combattue, à l’époque de sa jeunesse, dans ce qu’elle avait de plus violent, dans sa période orageuse d’expansion républicaine. Il avait eu l’occasion de la

  1. On retrouvera le récit animé de ces premières années dans un ouvrage abondant en documens nouveaux et librement écrit, l’Histoire de la monarchie de Juillet, par M. Thureau-Dangin.