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Metternich met son génie à aller de l’un à l’autre de ces dangers, réunissant des congrès, nouant des alliances contre les agitations des peuples ou s’efforçant de retenir l’ambition russe en Orient, régnant en apparence par une diplomatie savante, renommé parmi les sages du siècle, et en réalité impuissant. Vainement, le chancelier d’Autriche s’était flatté de museler le monstre révolutionnaire par la politique qu’il avait fait triompher à Carlsbad, à Laybach et à Vérone, de rester le ministre de la haute conservation et de la paix en Europe. Il avait paru réussir d’abord en Allemagne, en Italie. Il n’avait pas tardé à sentir que tout lui échappait. Il avait vu l’Angleterre de Canning se séparer des cabinets absolutistes, la Russie de l’empereur Nicolas se détacher à son tour pour reprendre sa marche vers l’Orient, le péril libéral ou révolutionnaire renaître par l’affaiblissement et dans la confusion des alliances. Il voyait surtout la France redevenir par degrés le grand foyer suspect où pouvaient se rallumer les flammes incendiaires toujours prêtes à se répandre sur l’Europe.

A dire vrai, le chancelier autrichien restait dans un état d’esprit singulier vis-à-vis de la France rendue à la monarchie bourbonienne. En aimant la restauration pour son principe, pour les garanties qu’elle pouvait offrir à l’ordre européen, il ne voyait bientôt en elle qu’un régime perverti dès sa naissance d’idées constitutionnelles, qui n’avait ni l’autorité des traditions héréditaires, ni la force du gouvernement napoléonien, qui se laissait aller à ce qu’il appelait un « doctrinarisme niais, » et se livrait à l’ennemi commun, au libéralisme. Il était trop l’homme de l’ancien régime pour ne pas subir parfois la fascination d’une des plus vieilles royautés du monde, et dans un voyage qu’il faisait en 1825 à Paris, s’il recevait le cordon bleu, il ne laissait pas d’être flatté dans sa vanité ; s’il dînait à la table du roi, il ne manquait pas de noter que seul, à part lord Moira, un ami de l’exil, il avait été admis à cet honneur. Il ne jugeait pas moins les institutions sans illusion, les hommes avec une légèreté dédaigneuse, la nation française avec la sévérité tranchante d’un oracle de l’absolutisme ; il mêlait dans ses jugemens la clairvoyance et la frivolité. « Après dix ans, écrivait-il, je trouve que la situation a bien empiré… C’est aujourd’hui seulement que l’on sent le contre-coup de la révolution. Elle a rompu tous les liens les plus intimes, et le funeste système qui a été introduit en France lors de la restauration n’est pas fait pour rien rétablir de ce qui a été détruit. C’est ainsi que la société française s’use et se décompose dans la lutte des passions. » Il voyait le drame des destinées de la restauration, ce drame qui se résumait dans le duel de la royauté légitime et du libéralisme, se dérouler à travers deux règnes, de ministère en ministère, pour se resserrer enfin sous M. de