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rois puissans, Mithridate et Tigrane, menacent d’accabler les tributaires et alliés de Rome. Ce même Mithridate, qui vient, par ses ordres secrets aux villes grecques d’Asie, de faire égorger en un même jour 100,000 Romains et Italiens établis dans ces villes, fait envoyer d’Ecbatane des émissaires pour s’entendre avec les chefs des ennemis que Rome combat au même temps en Espagne. L’étendue et la gravité de ses menaces ont déjà suspendu en Orient toute activité féconde, tout mouvement d’affaires, tout travail. À l’approche de cet ennemi, les troupeaux sont délaissés, l’agriculture est abandonnée, le commerce maritime suspendu. Donc plus de droits à percevoir sur les ports, sur les blés, sur les pâturages. Qu’on imagine dans quelles inquiétudes se trouvent ceux qui doivent supporter l’impôt dû aux Romains, et ceux aussi qui auront à en effectuer le recouvrement, c’est-à-dire ces fermiers de l’état qui emploient de si nombreuses troupes d’esclaves, préposés aux péages dans les marchés et aux portes des villes, dans les pâturages, dans les mines et carrières, dans les salines, dans les docks ! .. Ces hommes honorables, s’écrie l’orateur, qui est leur associé et leur ami, ont transporté en Asie leurs capitaux et leurs espérances. Les uns y perçoivent les revenus publics, les autres y font le commerce directement ; ils y ont placé de grandes sommes d’argent, tant pour eux-mêmes qu’au nom de leurs familles. Il s’agit de la province riche et fertile entre toutes, qui l’emporte sur tous les pays du monde par la fécondité de son sol, la variété de ses produits, l’étendue de ses pâturages, le chiffre immense de ses exportations. Mais surtout, — voilà sur quoi l’orateur insiste, et ses paroles font mesurer quel vaste développement a pris la richesse générale, publique ou privée, — qu’on réfléchisse à l’atteinte qu’un désastre en Orient fera subir à la place de Rome, comme nous dirions aujourd’hui ! Le crédit du marché central est en étroite solidarité avec le crédit des bourses de l’Asie, avec celui des groupes de capitalistes qui opèrent en Orient ; hæc fîdes atque hæc ratio pecuniarum quæ Romæ, quæ in foro versatur, implicita est cum illis pecuniis asiaticis et cohæret. Le crédit ne peut être ruiné en Asie sans que, du même coup, le crédit à Rome ne succombe, ruere illa non possunt ut hæc non eodem motu concidant. Il y a donc à défendre non pas seulement l’honneur de l’état et le salut des peuples alliés, mais les plus abondantes sources du revenu public et un très grand nombre, une multitude de fortunes privées : fortunæ plurimorum civium defendantur. Peut-être faudrait-il traduire : le plus grand nombre, la plupart de nos fortunes privées. Les cent mille Romains ou italiens que Mithridate avait fait tuer étaient cent mille