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nécessité. Cependant on était au fort de la lutte contre Annibal. On entretenait au loin d’immenses armées de terre et de mer ; il faudrait incessamment équiper une flotte considérable si la guerre devait s’engager aussi contre la Macédoine. La Sicile et la Sardaigne, sur lesquelles on comptait d’ordinaire pour les approvisionnemens de blé, nourrissaient à grand’peine leurs troupes d’occupation. Les ressources de l’impôt se trouvaient compromises, parce que beaucoup de ceux qui le supportaient avaient disparu au Trasimène et à Cannes. On ne pouvait donc compter que sur le crédit pour sauver l’état. Il fut décidé que le magistrat investi de la préture se rendrait à l’assemblée : il engagerait ceux qui précédemment avaient déjà tant gagné par les marchés publics, dit Tite-Live, à consentir un emprunt, et à fournir aux armées d’Espagne tout le nécessaire, sous la condition d’être payés les premiers dès qu’il y aurait des fonds dans le trésor. Le préteur parla dans ce sens, et désigna le jour où il ferait les adjudications des fournitures de vêtemens et de vivres, et de tout ce qu’exigeraient les équipages de la flotte. Ce jour venu, trois sociétés de publicains se présentèrent. Elles offraient de se charger des fournitures, sous deux conditions : tout ce qu’elles embarqueraient leur serait garanti par l’état contre l’ennemi ou la tempête ; et les citoyens qui contribueraient de quelque manière que ce fût à l’expédition seraient exemptés du service militaire tant, que durerait l’office public auquel on les conviait. Il fut ainsi fait ; les adjudications eurent lieu, et le contrat fut fidèlement exécuté de part et d’autre.

Cette page de l’historien latin nous est précieuse, parce qu’elle montre dans son action, à une date fort ancienne, l’administration financière de Rome entre les mains des publicains. Ce n’était pas une invention romaine. De même que Carthage soumise avait légué les lois rhodiennes sur le commerce maritime, de même la Grèce, et aussi l’Egypte, à laquelle semblent avoir été faits tant d’emprunts, offraient un exemple du constant usage d’affermer les impôts, tantôt à des compagnies, tantôt à de riches citoyens, qui, s’engageant à remettre à l’état une somme fixe et déterminée, percevaient les taxes à leurs risques et périls. L’extension de la puissance romaine rendit cette pratique tout à fait générale. On comprend quelles abondantes occasions de profits devaient s’offrir à de prudens fournisseurs, même sans supposer la prévarication ni la fraude, par les approvisionnemens maritimes et militaires : voiles et cordages, ferrures, armes, chevaux, vêtemens, poix et goudron. Il en était de même des grands travaux publics, pour la construction, pour l’entretien et la réparation des édifices, des chaussées, des routes… Les censeurs étaient chargés d’arrêter le bilan des