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cette jurisprudence, modelée sur le progrès des temps, devait bientôt s’étendre aux anciens citoyens eux-mêmes. C’était l’affranchissement de l’esprit juridique, après une période de discipline sacerdotale dont le rigorisme a pu n’être pas funeste si, en imposant le respect de la lettre, il a inspiré et peut-être affermi à toujours le sens de la légalité chez les Romains.

En résumé, l’afflux des métaux précieux a causé dans Rome un ébranlement fécond. Il a suscité toute une série de modifications profondes et heureuses dans la société romaine, précisément parce que cette société, jeune encore, intelligente et énergique, a su se servir des élémens de la richesse. Une de ses classes en particulier agrandi sous l’influence, sous l’excitation des circonstances nouvelles. Non asservie par ses origines aux règles étroites de l’ancienne cité, conviée à l’action par le progrès et l’essor contemporains, elle s’est s’emparée des sources de la richesse, et par là s’est dirigée vers l’autorité politique. C’est la classe des chevaliers, dont le développement rapide est un des principaux élémens de l’histoire de la république romaine.


II

Chez tous les peuples, au commencement de leur histoire, la cavalerie est l’arme aristocratique, celle qui appartient aux plus riches, parce qu’elle exige un équipement et des soins dispendieux. De quelle manière et à quel moment la cavalerie devient chevalerie, c’est une transformation difficile à saisir, mais un progrès naturel et logique, puisque les riches obtiennent bientôt l’éclat et le renom. Les premiers escadrons qu’ait eus la Rome primitive ont fait partie du patriciat. Chevaliers et sénateurs sont rangés ensemble dans la première classe, qui est inscrite au cens avec le chiffre de fortune le plus élevé. A mesure que la cité s’est agrandie par les succès militaires, le patriciat n’a ouvert ses rangs qu’à peine, tandis que les principaux d’entre les vaincus, recevant le droit de cité, ont fait partie de cette première classe s’ils possédaient plus de 100,000 as, et sont devenus par là aussi chevaliers. Il s’est formé de la sorte avec le temps, et le nombre des recrues devenant toujours plus considérable, une sorte d’aristocratie nouvelle, ou plutôt de classe intermédiaire, issue des municipes italiens et de la plèbe rustique, et capable de contre-balancer la vieille aristocratie patricienne en lui faisant ouvertement échec.

C’est précisément cette classe moyenne qui, voulant se faire sa place au soleil, met la main sur le commerce et la finance,