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s’aperçoit pas seulement que plus on démontre la petitesse et l’insuffisance ou l’ambition frivole de l’homme, plus on met à nu l’incohérence où un phénomène aussi étrange est devenu possible, et l’aveuglement des partis qui, après avoir préparé cette crise, ne veulent pas avouer qu’ils ont pu se tromper, que c’est par leur politique, par leurs fautes, qu’ils ont fait l’importance factice de l’apprenti dictateur. On ne remarque pas que, derrière ce personnage de convention, il y a les mécontentemens, les déceptions, les malaises qui se sont ralliés sur son nom, comme ils se seraient ralliés sur tout autre nom, et qu’on ne peut réussir à apaiser que par une direction plus éclairée et plus prévoyante. C’est en définitive le nœud de la situation; c’est une question de conduite, et s’il est un parti intéressé à regarder le problème en face, c’est le parti des républicains plus ou moins modérés, des opportunistes, qui ont évidemment aujourd’hui à choisir entre les confusions radicales conduisant fatalement par l’anarchie aux dictatures et une politique de défense libérale, conservatrice.

Plus que jamais tout est là, et, il n’y a plus à se payer de mots, à se flatter encore d’échapper au péril par des subterfuges qui ne seraient que des faiblesses nouvelles. Chaque heure qu’on laisse passer désormais, on n’en peut douter, aggrave la situation. Malheureusement, les républicains qui se disent modérés, les opportunistes, jouent un étrange rôle et ne peuvent arriver à savoir ce qu’ils veulent. — Oh ! assurément, ils seraient assez disposés par instans à reconnaître le mal. Ils conviennent qu’il a pu y avoir des fautes, qu’on a abusé des finances publiques, qu’on est allé peut-être trop loin, trop vivement dans l’application des lois qui touchent aux croyances religieuses, que l’autorité et les forces de l’état ont été compromises, que tout cela enfin a créé ce dangereux malaise exploité par les fauteurs de dictature; ils avouent aussi que la première nécessité serait de refaire un gouvernement, qu’on ne fait un gouvernement qu’avec les opinions modérées, et que la meilleure politique serait de s’allier avec les conservateurs pour la défense de l’ordre et des libertés parlementaires. Ils le croient, ils en conviennent parfois; oui, mais voilà la difficulté! Dès qu’ils en viennent aux conditions d’une alliance sérieuse, ils n’osent plus. Ils ont l’horrible peur d’être traités d’orléanistes! Ils ont le soin de commencer tous leurs discours par une déclaration de guerre contre les conservateurs, et M. Jules Ferry choisit ce moment pour faire l’apologie de ses lois scolaires; il s’associe même à cette puérile et sotte exclusion d’une pauvre religieuse chargée jusqu’ici de garder la maison de Jeanne d’Arc, et la seule explication qu’on donne de cette glorieuse campagne, c’est que la religieuse est exposée à être à son tour laïcisée. La raison est, en effet, plausible et naïve! Si c’est ainsi qu’on entend l’union avec les conservateurs, il n’y a pas apparemment à s’étonner que les conservateurs, même ceux qui seraient animés du plus libéral