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désarmés en prenant au chef de l’agitation nouvelle le premier article de son programme, — la révision. Ce sont au moment présent deux forces négatives qui ne peuvent rien l’une contre l’autre, entre lesquelles il n’y a qu’un arbitre, le pays, qui ne sera pas sans doute appelé avant un an et plus à se prononcer souverainement. La crise décisive n’est donc pas vraisemblablement si prochaine, le choc n’est pas pour demain. Le danger le plus pressant n’est pas là. Le vrai et profond danger est dans ce désarroi universel où tout se traîne, où toutes les idées sont confondues, où le peu qui reste de gouvernement achève de se décomposer, où les partis s’agitent dans l’impuissance, parce qu’ils ne veulent se rendre compte ni du mal qui les menace tous, ni des moyens qu’il y aurait à employer pour combattre le mal, parce qu’ils ne voient dans les crises du jour qu’un homme et sa popularité équivoque.

Assurément, on a beau jeu à combattre l’homme, et on n’a pas tort de montrer ce qu’il y a de redoutable, même d’assez humiliant pour le pays, dans cette fortune politique d’un soldat d’hier, qui s’est fait de l’indiscipline un titre à la faveur publique, un moyen de crédit auprès des foules. M. le général Boulanger, qui n’avait ni la popularité d’un grand nom à laquelle d’autres prétendans au pouvoir ont dû leur succès, ni l’éclat des services dans son passé personnel, n’est certes pas de ceux qui méritent d’être pris pour guides. Il a été un militaire impatient de bruit, et depuis qu’il a été rendu par sa faute à la vie civile il n’a pas prouvé qu’il y eût en lui des facultés proportionnées à son ambition. Il ressemble un pou à un agité qui touche à tout, qui s’essaie à tout et ne dépasse pas le plus souvent la mesure d’une vulgarité assez commune. Il paraît même qu’aujourd’hui, après avoir commandé, il croit le moment venu d’écrire ses commentaires, comme César, et dans ses récits publiés par livraisons, à grand fracas, avec des images ou les portraits qui accompagnent tout ce qu’il fait, il montre en vérité plus de prétention que de supériorité d’esprit ou d’originalité. Il a des réflexions de M. Prudhomme et les banalités du premier venu. Il parle à peu près comme il écrit, et les discours qu’il multiplie ne brillent sûrement ni par le fond, ni par la forme, ni par la pensée, ni far la précision ou le relief du langage. Bref, aujourd’hui, dans sa liberté, comme avant son émancipation définitive de toutes les règles militaires, M. Boulanger reste visiblement un personnage assez étriqué pour le rôle auquel il prétend. Il ne grandit pas, il ne se dégage pas, et de la part d’un homme, après tout médiocre, il y a, on en conviendra, une singulière arrogance à s’ériger en censeur superbe de tout ce qui existe, en représentant privilégié des vœux d’un pays, en promulgateur de constitutions nouvelles, comme il le faisait hier encore dans son discours de Lille. Oui, sans doute, tout cela est vrai. On peut combattre et railler cette vanité périlleuse: c’est fort bien ! On ne