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solennité où il fût aussi glorieux d’être vu, où la conscience même de chacun fût pareillement satisfaite, où cependant on prît du plaisir!.. Voici Adrienne Lecouvreur.

Adrienne Lecouvreur est classique au même titre que Bajazet ; oui, au même litre, devant la société d’aujourd’hui. Monsieur X... est comte, par la volonté de Louis XIV; et monsieur Z..., par la volonté de Louis-Philippe : que celui-ci tienne cet avantage de son père et celui-là du père de son trisaïeul, peu importe! On les a toujours vus comtes; il n’y a que les pédans pour faire la différence. Adrienne Lecouvreur?.. On l’a toujours vue au répertoire. Les érudits prétendent que cette «comédie-drame » a paru pour la première fois en 1849 : nous n’allons pas regarder sur l’autre versant du siècle; et puis. Adrienne Lecouvreur est évidemment plus vieille que cela! Ils murmurent, ces fâcheux, que la pièce est d’Eugène Scribe, qui n’a rien d’un personnage mythique, et de M. Legouvé, qui est encore bien vivant. Mais, si Adrienne Lecouvreur est de Scribe, on ne le sait qu’à peine; il faut le vouloir pour s’en souvenir : ce nom ne saute pas à l’esprit tout de suite avec ce titre, comme avec celui d’Une chaîne ou de la Camaraderie. Quant à M. Legouvé, pour notre génération, il est un patriarche guilleret, tout plein de vertus aimables, à qui, pour être vénéré, il ne manque rien que d’avoir engraissé ou d’être devenu maussade; il est un moraliste familier, un professeur de diction, un mime de bonne compagnie, un président d’assauts d’escrime, abondant, il est vrai, en souvenirs de théâtre, mais ami des comédiens et des auteurs, plutôt que lui-même auteur de comédies... C’est qu’il y a cinquante ans, savez-vous, qu’il a écrit cette Louise de Lignevolles où se trouve le prototype du mari moderne, du mari justicier, armé du code. C’est que, depuis les Deux Reines, qui sont déjà loin, il n’a presque rien donné au théâtre. Et cependant nous le voyons si actif, si affairé, si pourvu et si prodigue d’entregent pour le bien de ceux qu’il aime ou qu’il estime, que nous ne doutons pas qu’il remplisse devant nos yeux toute sa destinée. Auteur dramatique?.. S’il l’était, il ferait des pièces! Pourquoi n’en ferait-il pas? Il est assez vif, assez dispos!.. Et, chaque fois que, dans une conférence ou par une préface, il nous rappelle pour quelles raisons il est de l’Académie française, dont nous sommes enchantés qu’il soit, il nous cause d’abord une surprise. Et voilà pourquoi Adrienne Lecouvreur, parmi les chefs-d’œuvre du répertoire, produits authentiques du génie, est comme un enfant trouvé : or un enfant trouvé est toujours noble. Aussi bien, on sait que Rachel a incarné l’héroïne : Rachel, qui fut la Camille et l’Emilie de Corneille, Rachel, qui fut l’Ériphile de Racine, et son Hermione, et sa Monime, et sa Roxane... Et, dans cette prose coulante, on reconnaît, au passage, des vers de ces poètes : et, bien qu’on les ait déjà entendus, soit dans le Cid ou Cinna, soit dans Psyché soit dans Bajazet, soit dans Andromaque