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Ce traité fut accepté par Richelieu, qui dit à ce propos que « M. de Lesdiguières avait fait action de M. de Lesdiguières. »

Pendant les derniers temps de son séjour en Italie, le connétable était d’assez méchante humeur. Les obstacles qu’il avait traversés dans l’entreprise de Gênes, la subordination au duc de Savoie, l’avaient fort mécontenté. Une force secrète le ramenait à la cause des protestans, qu’il avait abandonnée. Le 24 décembre 1625, il écrivait de Turin au roi pour le détourner d’accabler La Rochelle ; tout en blâmant « l’obstination de ce peuple débauché,» il ose dire : « Je vous donne cecy pour une vérité plus certaine que la lumière, que si Vostre Majesté laisse naistre du trouble dans son estat, elle donne la partie gaignée aux Espagnols et leur ouvre le dernier chemin à la monarchie universelle. » Il condamne la rébellion des Rochellois, mais il conseille d’user de prudence « et de pratiquer cette adresse si nécessaire qui semble faire partie des fonctions de la royauté... Tout ce qu’on peut dire pour desguiser la sincérité de mes intentions et tous les artifices des mauvais esprits qui me veulent rendre inutile ne sçauroient m’empescher de vous dire mes sentimens comme j’y suis obligé, et je ne feindray point de protester pour la décharge de ma conscience que vous conseiller en ce temps-c’y de porter vos armes à La Rochelle et faire un enbrasement qui deviendra bientôt général, ce n’est nullement vous servir. » Il conseille donc d’ajourner la lutte contre les Rochellois, et « peut-être cependant recognoistront-ils leur debvoir, et outre qu’ayant faict glorieusement vos affaires en Italie, vous pourrez triompher à la fois de deux ennemys ensemble, des intestins et des estrangers[1]. »

Lesdiguières était dans les mêmes sentimens quand il se hâtait de traiter avec Brizons, en faisant à ce partisan de grands avantages ; il était si pressé de le désarmer qu’il avança de ses propres deniers la somme d’argent qui lui était promise dans le traité. Il était tout aux affaires d’Italie et songeait à entrer encore en campagne, quand la maladie vint le surprendre à Valence. Il y fut pris de la fièvre, le 21 août 1626; il vit venir la mort avec beaucoup de calme et donna encore des ordres pour le logement de l’armée d’Italie peu d’heures avant de rendre le dernier soupir. Son corps fut porté à Grenoble et ensuite dans le tombeau qu’il avait fait depuis longtemps préparer. Il avait atteint l’âge de quatre-vingt-huit ans, et avait conservé jusqu’au bout sa force et son intelligence.

Lesdiguières reste dans l’histoire comme une des figures originales de ce XVIe siècle, si fécond en caractères singuliers; non pas,

  1. Actes et Correspondance, t. II, p. 430.