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varient surtout avec la classe à laquelle ils s’adressent. Il est partout facile de loger l’élite de la population ouvrière ; elle n’a besoin pour cela d’aucune intervention : la difficulté commence lorsqu’il s’agit de la masse; elle devient presque insurmontable lorsqu’on atteint les dernières couches, ce que les Anglais appellent le residuum, et M. Raffalovich la lie de l’indigence. Dans ces régions-là, il ne suffit pas de procurer aux familles une habitation convenable, il faut encore leur apprendre à en user, leur inspirer le goût de l’ordre et de la propreté, sans lesquels il n’y a pas de demeure salubre. Or, il est plus difficile de changer les habitudes des malheureux que de leur bâtir des maisons.

Supposons qu’on puisse offrir demain des logemens hygiéniques aux chiffonniers qui pullulent dans la cité Philippe ou dans les bouges du clos Macquart, ils vont immédiatement y entasser les détritus, les ordures qui font l’objet de leur commerce. Le père, la mère et les enfans vivront sur ce fumier, comme ils ont coutume de le faire, et le logis propre et confortable que vous leur aurez procuré sera devenu, en huit jours, un foyer d’infection. On ne peut pourtant pas chasser ces chiffonniers de partout, il faut bien qu’ils logent et s’abritent quelque part.

Les chiffonniers ne sont pas, du reste, les seuls locataires qui, pour la bonne tenue des maisons, aient besoin d’éducation et de surveillance. Toutes les fois qu’on abandonne des appartemens, à titre provisoire, à des gens qui n’auront pas à rendre compte du bon entretien du local lorsqu’ils le quitteront, et qui ne seront pas tenus de le faire nettoyer et réparer à leurs frais, on le trouve dans un état de désordre et de malpropreté révoltant. Pendant le siège de Paris, on réquisitionna les appartemens vides, pour y loger les gens de la banlieue qui venaient chercher un reluge dans ses murailles. Les maisons les plus somptueuses furent ainsi mises à la disposition de ces hôtes de passage, et, lorsqu’ils les quittèrent, ces beaux appartemens étaient devenus sordides, infects, méconnaissables. On y avait fait tous les métiers, exercé toutes les industries. Il y en avait qui étaient convertis en étables : on y élevait des volailles et des lapins.

Il ne suffit donc pas de bâtir pour résoudre la question du logement ouvrier. Elle est bien plus complexe; elle comprend deux termes distincts : la construction de logemens à bon marché et l’assainissement de ceux qui existent déjà. En France, c’est ce dernier élément qui doit l’emporter. On ne voit pas chez nous cette pénurie absolue de logemens qu’on rencontre dans les pays essentiellement manufacturiers et dont la population est exubérante, ce manque d’abris que nous avons signalé à Berlin, par exemple, où une partie de la population pauvre est parfois obligée de camper sur la voie