Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VII.

Ainsi naquit dans la basilique de Saint-Pierre, en décembre de l’an 800, le saint-empire romain de la nation germanique, qui se trouvera parmi les morts en décembre de l’an 1805, sur le champ de bataille d’Austerlitz.

Très obscures sont les circonstances qui ont précédé et accompagné cet événement. Eginhard, l’ami, le confident et le biographe de Charles, nous met dans un embarras singulier, quand il rapporte ce propos que l’empereur a plus d’une fois répété : « Si j’avais su ce qui devait se passer ce jour-là, malgré la solennité de la fête, je ne serais pas allé à l’église. » Il est impossible pourtant qu’un acte pareil n’ait pas été décidé à l’avance: on ne devient point empereur sans le savoir. Toutes sortes d’opinions ont été produites pour expliquer l’indiscutable témoignage d’Eginhard. Les uns pensent que Charlemagne s’est montré mécontent de n’avoir été consulté ni sur le moment, ni sur le mode de la cérémonie, qu’il aurait voulu la régler autrement, ne point tenir la couronne des mains du pape et n’être point à la face du monde son obligé ; les autres qu’il aurait voulu différer, préoccupé comme il était d’éviter un conflit avec Constantinople, où son avènement a été considéré comme une usurpation. De pareils doutes sur un si grand fait donnent de beaux argumens aux sceptiques. Heureusement l’historien, incertain du détail, voit l’ensemble, le comprend, s’émeut et admire.

Je ne sais pas s’il y a eu discussion véritable sur le rétablissement de l’empire entre les évêques, les grands, le pape et le roi ; mais je sais que cette restauration est la manifestation la plus étonnante de la puissance de Rome. L’empire romain n’est plus, mais l’idée survit d’une communauté politique, mieux encore, de la communauté humaine ; car l’empire, où tout privilège de race et de peuple a été effacé, où toute individualité nationale s’est évanouie, a fini par s’élever jusqu’à la dignité d’une façon d’être du monde, définie par les mots : Pax romana. Rome s’est sentie devenir l’humanité. Elle l’a dit par la bouche de ses jurisconsultes et de ses poètes. Un poète des derniers jours, Claudien, a exprimé ce sentiment mieux que personne, lorsqu’il salue la Ville de la plus belle des louanges : « Elle seule a reçu les vaincus dans son sein, et donné au genre humain la douceur d’un même nom. De ceux qu’elle a domptés, elle a fait des citoyens. Grâce à la paix romaine, nous sommes une seule nation : Cuncti gens una sumus. »