Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trésorier Campule et une troupe de sicaires. Les bandits le jettent par terre, essaient de lui arracher la langue et les yeux, le traînent dans l’église du monastère, s’en prennent une fois encore à ses yeux et à sa langue, et l’abandonnent, le corps déchiré de coups, roulant dans le sang au pied de l’autel. Ils avaient donné ordre de le garder, mais le pape est transporté de nuit dans un autre monastère, d’où il s’échappe, avant le jour, à l’aide d’une corde. Il sort de la Ville et se rend à Saint-Pierre. Là, il est recueilli par deux missi de Charlemagne : l’un d’eux, le duc de Spolète, l’emmène dans son duché. Léon n’ose point retourner à Rome. L’offense avait été si grave et, probablement, le péril demeurait si grand, qu’il résolut d’aller demander au protecteur la réparation et du secours. Encore une fois, le successeur de Pierre passa les monts. Il fallut qu’il allât chercher Charlemagne en pleine Saxe, à Paderborn, où il le pria de juger entre ses accusateurs et lui. Le roi le reçut avec de grands honneurs, mais il accueillit aussi les députés des Romains, qui implorèrent sa justice contre les crimes du pape. Il écouta les deux parties et les renvoya. Deux archevêques, trois évêques et trois comtes accompagnèrent le pape. Ils le réinstallèrent au Latran, puis ils firent une enquête sérieuse sur la cause. Comme les accusateurs ne réussirent point à prouver leurs dires, ils les tinrent en prison jusqu’à l’arrivée du roi.

Nous connaissons mal les causes de ce drame. Le pape a-t-il été victime d’une vulgaire vengeance de mari ou d’amant? Il était accusé de parjure et de péché contre les bonnes mœurs, mais il semble avoir été calomnié. Pascal et Campule étaient tous deux les neveux du pape Hadrien, et le premier avait été associé au gouvernement pontifical. Le temps est déjà venu où les papes, princes temporels électifs, ont à redouter la famille de leurs prédécesseurs. Les conjurés étaient maîtres de la Ville. Personne ne s’était levé pour délivrer de sa prison le « seigneur coangélique. » Personne n’avait été le chercher dans l’exil. Rome avait député auprès du roi pour témoigner contre lui. La vanité du rêve des papes était donc bien prouvée : dans ces temps de barbarie, il était plus aisé à un roi de commander à des prêtres, qu’à un prêtre, si grand qu’il fût, de régner sur une ville. Une fois de plus, l’ambition des papes va servir la fortune du roi des Francs. Elle l’a fait roi des Lombards et patrice des Romains. Voici qu’enfin le pape définit ce patriciat. Le patrice est un juge, et dans quelle cause! Charlemagne n’apparaît nulle part plus grand que dans l’entrevue de Paderborn. Au milieu de cette Saxe qu’il a vaincue, dévastée, incendiée, dépeuplée, mais aussi évangélisée, il a été supplié de prononcer entre le vicaire du Christ et ses ennemis. Il a envoyé au-delà des monts