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les églises de ses royaumes lui confèrent des droits sur elles. Au temporel, il ne relève de« personne. La fiction qui détenait les rois du Ve siècle dans la dépendance de l’empire s’est évanouie. L’empereur, c’est le passé : ce roi germanique et biblique, c’est le présent. Il semble aussi que ce soit l’avenir, mais le passé ne meurt jamais tout entier. La vieille Rome attirera cet homme nouveau. Elle le saisira, l’enchantera, l’habillera en empereur, et prolongera ainsi sa survivance.


II.

Retournons en Italie pour y reprendre l’histoire interrompue des relations du pape avec l’empereur de Constantinople, les Lombards[1] et les cités italiennes. Le pape continue à chercher sa fortune, sans savoir au juste de quelles mains il la prendra. Il n’a pas rompu avec l’empereur, qu’il salue toujours du titre de dominus. Il ne désespère pas de s’entendre avec les Lombards. A Grégoire III, qui avait appelé Charles Martel, succède, en 741. Zacharie, qui ne renouvelle pas l’invocation aux Francs, divisés alors par les querelles des fils de Charles. Il essaie une politique nouvelle avec les Lombards, celle des visites, des bénédictions et des cajoleries. En toute occasion grave, il va trouver le roi Luitprand, le séduit par son éloquence, et l’éblouit par l’éclat de sa dignité surhumaine. Un jour, il sacre devant lui un évêque : la cérémonie est si belle que les barbares versent des larmes. Il invite à sa table Luitprand, qui « mange en toute gaîté de cœur et déclare qu’il n’a jamais fait un si bon dîner. » Aussi rend-il au pape les villes du duché romain qu’il vient de conquérir, et Zacharie, rentré à Rome « avec la palme de la victoire, » célèbre un triomphe sous la forme d’une grande procession. Alors Luitprand se tourne d’un autre côté; il menace Ravenne et l’exarchat. Le pape, supplié par l’exarque et par l’archevêque, se rend à Ravenne, où il est reçu avec enthousiasme, puis à Pavie. Il chante la messe devant le roi et obtient de nouvelles promesses, mais le Lombard ne tient pas sa parole. Le Liber pontificulis, vingt lignes après avoir témoigné de la bonhomie de ce singulier personnage, le traite d’insidiator et de persecutor. Il considère comme un bienfait de Dieu sa mort, qui survient bientôt et met en liesse le pape et les Romains. Tout de suite, Zacharie s’adresse au successeur, Ratchis, et conclut avec lui une paix de vingt années. Ratchis respecte Rome et Ravenne, mais il s’en prend

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1886.