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qui, au sortir de l’École normale, est envoyé au lycée d’une ville secondaire, où il ne trouve personne à entretenir de ses occupations, n’a que le travail pour tromper l’ennui. A la campagne, au contraire, tout intéresse l’homme enclin à l’étude et à la méditation : les travaux des champs, les récoltes, les aspects variés de la nature. En dehors du devoir imposé, on prend volontiers, dans le calme, goût à la recherche littéraire ou scientifique; puis on songe, pour les jours de liberté, à des voyages et à des visites aux grandes bibliothèques. Pour les maîtres ayant une famille, des enfans qui grandissent, abondent les agrémens de la vie; le modeste traitement procure un bien-être, une sorte d’aisance qui remplace la gêne inévitable de l’existence dans les villes. D’ailleurs, si, dans la préoccupation de faire prévaloir les meilleures méthodes dans l’instruction secondaire, on regrette de ne pas satisfaire le goût de certains professeurs, c’est qu’une sollicitude plus haute est commandée envers les élèves dont il s’agit de favoriser le succès dans les études.

Plus on étudie sous tous les aspects la grande question de l’enseignement secondaire, plus on se convainc que, si les personnes vraiment éclairées s’appliquaient à la comprendre, on arriverait bientôt à la conclusion la mieux justifiée. En ce moment, les uns disent : Instruisez fortement les jeunes générations, car à ces jeunes générations incombe le devoir de chercher la réalisation de tous les progrès dans l’ordre matériel et de porter haut la gloire intellectuelle de la France. Les autres crient : Arrêtez, pour nos enfans, les fatigues qui dépassent les forces ordinaires, qui altèrent la santé, qui nuisent au développement physique ; la patrie a besoin d’hommes vigoureux. Les uns et les autres élèvent de justes réclamations; mais, à l’heure présente, elles sont inconciliables. Il est possible, cependant, de satisfaire les divers intérêts : il suffira de donner l’enseignement dans les conditions dont nous avons exposé les avantages; et, pour une partie considérable des études, de changer absolument les procédés en usage dans le système actuel. En terminant, pour la belle expérience qu’il serait heureux de voir instituer, nous ne pouvons que faire un pressant appel aux pouvoirs publics et à tous ceux qui, dans les conseils et dans les assemblées délibérantes, exercent une influence. Il s’agit de prendre une détermination dans une affaire qui importe à la prospérité comme à la grandeur du pays. Les hommes qui auront servi utilement cette noble cause de l’instruction de la jeunesse s’assureront, avec l’honneur, bientôt peut-être la reconnaissance de la nation.


EMILE BLANCHARD.