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On croirait volontiers qu’échappant au système classique, qu’affranchis de lisières incommodes, leur esprit, prenant un vol mieux assuré, s’est fait une originalité féconde. D’un autre côté, on cite parmi les plus éminens des hommes qui, au collège, ont remporté toutes les palmes. Pleine d’intérêt serait l’étude comparative et approfondie des genres de préparation intellectuelle chez les personnages qui se sont illustrés dans la carrière où le savoir pèse d’un grand poids ; mais ce n’est pas avec les vagues indications dont se contentent les meilleurs biographes qu’on parviendrait à mettre dans une heureuse opposition les profits d’une instruction régulière et les ressources d’une instruction simplement dirigée d’après les goûts et les appétits de l’enfant ou du jeune homme studieux. C’est assez naturellement qu’une semblable réflexion trouve ici sa place. Cependant, nous ne saurions oublier que, dans l’enseignement, les préoccupations doivent porter sur la masse des élèves : aussi c’est avec une conviction d’autant plus forte que nous réclamons des conditions d’études qui tourneraient à l’avantage du grand nombre, qui favoriseraient des élans spontanés chez les intelligences d’élite.

A l’heure actuelle, une plainte monte et commence à produire dans le public une pénible impression. Réagissant contre l’idée que, pour jouer un rôle dans la société moderne, il est nécessaire de posséder des connaissances multiples, on rappelle avec énergie qu’en général le cerveau s’approprie peu de chose, s’il est sollicité sur de trop nombreux sujets, et l’on s’écrie : Les élèves de nos collèges sont surmenés ! De juges pleins de compétence insistent sur les dangers de la fatigue du cerveau pendant la période du développement de l’organisme. Tout le monde discerne les inconvéniens du défaut d’exercice, et des hygiénistes s’insurgent contre les habitudes scolaires qui obligent des enfans et des adolescens à demeurer sédentaires. De mon temps, disait naguère un littérateur célèbre, « les pensions avaient sur les lycées d’aujourd’hui une grande supériorité; elles avaient l’espace ! Les écoliers d’aujourd’hui ne savent plus jouer, parce qu’ils n’ont plus de place[1] ! » Maintenant, on n’a plus comme autrefois la facilité des excursions hors de l’enceinte des grandes villes; c’en est fait des longues promenades. Que le lycée soit à la campagne, les écoliers marchent et courent à travers les chemins, sautent les fossés. On se plaît à voir que, pour les besoins d’une leçon, ils prennent beaucoup de cet exercice, salutaire à toutes les époques de la vie, indispensable dans l’âge de la croissance. De la sorte vient, avec l’agilité, l’adresse, la vigueur physique. Il y a repos de la pensée quand l’esprit s’arrête à la contemplation

  1. Legouvé, Soixante ans de souvenirs, t. I, p. 221.