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de paysages romantiques avec un si réel bonheur qu’on se sent transporté sur les scènes dont on a lu la description ? Des jeunes gens sur le point d’entrer dans la carrière, et qui ont puisé dans une instruction solide une tendance à s’attacher aux faits bien observés, si un souffle poétique vient à les toucher, ils compteront parmi les mieux préparés à la fois pour les luttes de l’existence, pour les plaisirs qui charment l’esprit, pour les joies qui emplissent le cœur.


IV.

Il est juste de proclamer chez la nation l’égalité de tous les citoyens. Lorsqu’une créature humaine vient au monde, nul ne peut savoir ce qu’elle vaudra, soit dans l’ordre intellectuel, soit dans l’ordre moral. Les conditions défavorables n’empêchent pas toujours l’essor, les circonstances les plus heureuses trompent souvent l’espérance. Que les principes vivent dans tout leur éclat, ce sera, il faut l’espérer, l’éternel honneur des civilisations modernes. Cependant, à trop admirer les principes, on verse dans des voies déplorables ; il y a la réalité qui s’impose. La nature parle, montrant partout l’inégalité. Impossible de rencontrer deux sujets pareils de tous points, d’une valeur égale. Parmi les êtres les plus infimes, entre deux individus, tout de suite, on constate une différence ; l’enfant qui a cueilli deux pâquerettes dit : Celle-ci est plus belle que celle-là. A la maison, on s’amuse de deux oiseaux pris au nid. Ils sont nés le même jour, ils ont reçu les mêmes soins, la même éducation ; l’un est gentil, aimable, il accourt vite à l’appel du maître, il a besoin de plaire; l’autre n’écoute aucune voix : à la main qui s’approche pour le flatter, il distribue des coups de bec. Plus l’espèce est d’ordre élevé, plus s’accentuent les différences entre les individus. Parmi les hommes, la diversité dans les aptitudes, dans les goûts, dans les sentimens, est prodigieuse. Cette diversité, capable de mettre en déroute toutes les prévisions, se manifeste plus ou moins dès la première enfance. Il convient donc, pour arrêter des programmes d’instruction et déterminer les conditions de l’enseignement, d’avoir en vue cette diversité et de songer aux moyens les plus propres à servir le grand nombre. Or, il n’est guère douteux que, si une expérience comparative était réalisée, on arriverait à reconnaître que l’étude de la nature vivante est, de toutes les études, celle qui trouve le mieux son chemin à travers les intelligences diverses et qui, en général, prépare l’esprit de la manière la plus efficace pour tous les genres d’occupations. Reconnaître par les résultats de l’enseignement dans quelles proportions