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Penseur ou écrivain, Malebranche est, pour ses biographes ou ses commentateurs, une de nos gloires nationales. Ce n’est pas au collège qu’il est bon de vouloir le faire apprécier. La recherche de la vérité ! mais Malebranche n’entendait nullement la recherche de la vérité comme il convient de l’entendre de nos jours. Le pieux oratorien ne s’inquiétait point de la vérité qu’on recherche et qu’on découvre en multipliant et en aiguisant les ressources de l’observation et de l’expérience. Le prêtre studieux, à la pensée ardente, aux angoisses sublimes, croyait, par l’effort de son raisonnement, obtenir une révélation de la vérité pour un monde que l’homme ne voit qu’en rêve. Respectons les rêves, les exaltations mystiques; c’est tout. Il y a mieux à faire que d’en troubler le cerveau des écoliers; il y a l’esprit à séduire par la connaissance de vérités indiscutables. A notre époque, rendue si vivante par la science, qui le croirait? dans la classe de philosophie, les idées les plus bizarres et les plus fausses, les conceptions les plus nuageuses n’effraient personne. Gravement on explique la doctrine de Spinoza, on estime de grande portée les assertions du philosophe hollandais, que « la substance est ce qui est, de soi et par soi, et n’a besoin de rien autre pour être ; que la volonté, le devoir, l’amour, sont des modes qui appartiennent à la nature naturée et non pas à la nature naturante, etc. » A la fin du XIXe siècle, lorsque le champ des notions utiles pour tous est sans bornes, il est permis de perdre un temps précieux à discuter de pareilles propositions ! Que dire maintenant de l’abbé de Condillac? On occupe nos collégiens de ce rêveur, qu’un juge doux envers les maîtres de la scolastique, Victor Cousin, appréciait en ces termes : « Le sens de la réalité manque à Condillac; il ne connaît ni l’homme, ni les hommes, ni la vie, ni la société. Le sens commun ne le retient jamais ; son esprit est pénétrant, mais étroit. » Eh bien ! c’est encore avec révérence que, dans l’école, on parle de l’auteur du Traité des sensations. Supposerait-on qu’il y ait le moindre intérêt, pour le développement de nos facultés intellectuelles, à suivre la pensée d’un homme divaguant sur les sensations, dans l’ignorance absolue de la structure des organismes qui transmettent les sensations ?

Il est inutile de s’appesantir davantage sur des œuvres qu’il faut à jamais rayer des programmes de l’enseignement secondaire. L’abandon de l’ancienne philosophie scolastique est complet dans le pays étranger qui prétend à la plus grande diffusion du savoir. La France, parfois si éveillée aux clartés nouvelles, eut souvent l’initiative des progrès ; on regrette qu’elle n’ait point été la première dans l’accomplissement d’une réforme absolument nécessaire. S’il convient de ne laisser ignorer à personne du monde des lettrés l’influence sur la marche de l’esprit humain de Platon et d’Aristote,