Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une autre? C’est au moins assez rare. Chacun, pleinement satisfait de l’instruction qu’il a reçue, se croit un homme accompli, en possession de tout ce qu’il importe de savoir. C’est comme par aventure que se manifeste le regret d’être privé de certaines connaissances, — peut-être d’ignorer l’anglais ou l’allemand; cela ne va guère plus loin. Avec quel dédain des gens qui se trouvent suffisamment instruits ne parlent-ils pas d’études, de travaux, de recherches dont ils ne comprennent nullement la portée ! Ce n’est pas eux qui voudraient en apprendre la moindre chose. On connaît le rire saccadé qui accompagne d’ordinaire de semblables déclarations. Serait-il donc inutile de préparer la jeunesse à concevoir l’idée de la valeur que présentent les différens travaux dans les sociétés civilisées? Dans le monde où l’on n’a pas besoin de se préoccuper d’une carrière pour les jeunes gens, les pères de famille désirent naturellement que leurs fils reçoivent, sans trop de fatigue, une instruction distinguée. Quelle sera cette instruction? Inutile d’y penser; c’est l’affaire de l’état. Ailleurs, on entrevoit, pour la sortie du collège, l’admission dans une grande école du gouvernement, l’entrée dans l’administration, l’accès dans les affaires; ce qu’il faut, c’est le savoir nécessaire pour obtenir le baccalauréat. Dans les familles, qui donc prendra souci du programme scolaire? Un jeune homme doit être bachelier : qu’on le prépare à devenir bachelier. On n’en demande pas davantage. Les philosophes mûris par l’étude, amoureux de tous les progrès, et ainsi plus que d’autres aptes à comprendre l’intérêt, la valeur, l’importance plus ou moins considérable des différens sujets qui peuvent entrer dans l’instruction secondaire, sont en nombre restreint; on ne juge pas nécessaire de compter avec leur sentiment.

Longtemps il semblait tout simple de donner pareille instruction aux hommes qui seraient appelés aux occupations les plus diverses. Aujourd’hui, on en vient à une meilleure appréciation des exigences de chaque situation. Dans certains milieux où les jeunes gens se destinent au commerce, aux affaires, à l’industrie, on répète volontiers : «quoi donc pourra servir à mon fils d’apprendre le grec et le latin? Dans ce sens, avec lenteur, l’opinion publique s’est accentuée. Le premier, un chef d’institution, Prosper Goubaud, se montra frappé d’une réflexion sans cesse renouvelée : il essaya de fonder une école professionnelle. Adopté par la ville de Paris, cet établissement est devenu le collège Chaptal ; c’était sans doute insuffisant pour répondre aux tendances contemporaines, et, depuis, à côté du vieil enseignement classique, s’est développé un enseignement secondaire spécial, dont le grec et le latin sont exclus. La nécessité d’être familiarisé avec les principales langues vivantes fait écarter l’étude des langues mortes pour les carrières où l’on ne saurait