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LA LÉGENDE DE KRISHNA.

verbe divin ; elle ne l’oubliera plus. Elle aura d’autant plus soif de rédempteurs et de fils de Dieu, qu’elle sentira plus profondément sa déchéance. Après Krishna, il y a comme une puissante irradiation du verbe solaire à travers les temples d’Asie, d’Afrique et d’Europe. En Perse, c’est Mithras, le réconciliateur du lumineux Ormuzd et du sombre Ahrimane ; en Égypte, c’est Horus, le fils d’Osiris et d’Isis ; en Grèce, c’est Apollon, le dieu du soleil et de la lyre, c’est Dionysos, le ressusciteur des âmes. Partout le dieu solaire est un dieu médiateur, et la lumière est aussi la parole de vie. N’est-ce pas d’elle aussi que jaillit l’idée messianique ? Quoi qu’il en soit, c’est par Krishna que cette idée entra dans le monde antique ; c’est par Jésus qu’elle rayonnera sur toute la terre.

Nous n’entreprendrons pas de montrer, même sommairement, comment la doctrine du ternaire divin se relie à celle de l’âme et de son évolution, comment et pourquoi elles se supposent et se complètent réciproquement. Disons seulement que leur point de contact forme le centre vital, le foyer lumineux de la doctrine ésotérique. À ne considérer les grandes religions de l’Inde, de l’Égypte, de la Grèce et de la Judée que par le dehors, on ne voit que discorde, superstition, chaos. Mais sondez les symboles, interrogez les mystères, cherchez la doctrine mère des fondateurs et des prophètes, — et l’harmonie se fera dans la lumière. Par des routes très diverses et souvent tortueuses, on aboutira au même point, en sorte que pénétrer dans l’arcane de l’une de ces religions, c’est aussi pénétrer dans ceux des autres. Alors un phénomène étrange se produit. Peu à peu, mais dans une sphère grandissante, on voit reluire la doctrine des initiés au centre des religions, comme un soleil débrouillant sa nébuleuse. Chaque religion apparaît comme une planète différente. Avec chacune d’elles, nous changeons d’atmosphère et d’orientation céleste, mais c’est toujours le même soleil qui nous éclaire. L’Inde, la grande songeuse, nous plonge avec elle dans le rêve de l’éternité. L’Égypte grandiose, austère comme la mort, nous invite au voyage d’outre-tombe. La Grèce enchanteuse nous entraîne aux fêtes magiques de la vie et donne à ses mystères la séduction de ses formes tour à tour charmantes ou terribles, de son âme toujours passionnée. Pythagore enfin formule scientifiquement la doctrine ésotérique, lui donne l’expression la plus complète peut-être et la plus solide qu’elle eût jamais ; Platon et les Alexandrins ne furent que ses vulgarisateurs. Nous venons de remonter jusqu’à sa source dans les jongles du Gange et les solitudes de l’Himalaya.

Édouard Schuré.