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LA LÉGENDE DE KRISHNA.

nant. Le septième jour, vers le coucher du soleil, les deux femmes virent des archers monter vers l’ermitage.

— Voici les archers de Kansa qui te cherchent, dit Sarasvati ; maître, défends-toi !

Mais Krishna, à genoux près du cèdre, ne sortait pas de sa prière. Les archers vinrent ; ils regardèrent les femmes et les pénitens. C’étaient de rudes soldats, à faces jaunes et noires. En voyant la figure extatique du saint, ils restèrent interdits. D’abord, ils essayèrent de le tirer de son extase en lui adressant des questions, en l’injuriant et en lui jetant des pierres. Mais rien ne put le faire sortir de son immobilité. Alors, ils se jetèrent sur lui et le lièrent au tronc du cèdre. Krishna se laissa faire comme dans un rêve. Puis, les archers, se plaçant à distance, se mirent à tirer sur lui en s’excitant les uns les autres. À la première flèche qui le transperça, le sang jaillit, et Krishna s’écria : « Vasichta, les fils du soleil sont victorieux ! » Quand la seconde flèche vibra dans sa chair, il dit : « Ma mère radieuse, que ceux qui m’aiment entrent avec moi dans ta lumière ! » À la troisième, il dit seulement : « Mahadéva ! » Et puis, avec le nom de Brahma, il rendit l’esprit.

Le soleil s’était couché. Il s’éleva un grand vent, une tempête de neige descendit de l’Himavat et s’abattit sur la terre. Le ciel se voila. Un tourbillon noir balaya les montagnes. Effrayés de ce qu’ils avaient fait, les meurtriers s’enfuirent, et les deux femmes, glacées d’épouvante, roulèrent évanouies sur le sol comme sous une pluie de sang.

Le corps de Krishna fut brûlé par ses disciples dans la ville sainte de Dwarka. Sarasvati et Nichdali se jetèrent dans le bûcher pour rejoindre leur maître, et la foule crut apercevoir le fils de Mahadéva sortir des flammes avec un corps de lumière, entraînant ses deux épouses. Après cela, une grande partie de l’Inde adopta le culte de Vishnou, qui conciliait les cultes solaires et lunaires dans la religion de Brahma.

VII. — CONCLUSION.

Telle est la légende de Krishna reconstituée dans son ensemble organique et replacée dans !a perspective de l’histoire.

Elle jette une vive lumière sur les origines du brahmanisme. Certes, il est impossible d’établir par des documens positifs que derrière le mythe de Krishna se cache un personnage réel. Le triple voile qui recouvre l’éclosion de toutes les religions orientales est plus épais en Inde qu’ailleurs. Car les brahmanes, maîtres absolus de la société indoue, uniques détenteurs de ses traditions, les ont souvent modelées et remaniées dans le cours des âges. Mais il est