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je ne sois pas par ma nature sujet à naître ou à mourir et que je sois le maître de toutes les créatures, cependant, comme je commande à ma nature, je me rends visible par ma propre puissance, et toutes les fois que la vertu décline dans le monde et que le vice et l’injustice l’emportent, alors je me rends visible, et ainsi je me montre d’âge en âge pour le salut du juste, la destruction du méchant et le rétablissement de la vertu. Celui qui connaît selon la vérité ma nature et mon œuvre divine, quittant son corps ne retourne pas à une naissance nouvelle, il vient à moi[1]. »

En parlant ainsi, Krishna regarda ses disciples avec douceur et bienveillance. Ardjouna s’écria :

— Seigneur ! tu es notre maître, tu es le fils de Mahadéva ! Je le vois à ta bonté, à ton charme ineffable plus encore qu’à ton éclat terrible. Ce n’est pas dans les vertiges de l’infini que les Dévas te cherchent et te désirent, c’est sous la forme humaine qu’ils l’aiment et t’adorent. Ni la pénitence, ni les aumônes, ni les Védas, ni le sacrifice ne valent un seul de tes regards. Tu es la vérité. Conduis-nous à la lutte, au combat, à la mort. Où que ce soit, nous te suivrons !

Sourians et ravis, les disciples se pressaient autour de Krishna en disant :

— Comment ne l’avons-nous pas vu plus tôt ? C’est Mahadéva lui-même qui parle en toi.

Il répondit :

— Vos yeux n’étaient pas ouverts. Je vous ai donné le grand secret. Ne le dites qu’à ceux qui peuvent le comprendre. Vous êtes mes élus ; vous voyez le but ; la foule ne voit qu’un bout du chemin. Et maintenant allons prêcher au peuple la voie du salut.

VI. — LE TRIOMPHE ET LA MORT.

Après avoir instruit ses disciples sur le mont Mérou, Krishna se rendit avec eux sur les bords de la Djamouna et du Gange, afin de convertir le peuple. Il entrait dans les cabanes et s’arrêtait dans les villes. Le soir, aux abords des villages, la foule se groupait autour de lui. Ce qu’il prêchait avant tout au peuple, c’était la charité envers le prochain. « Les maux dont nous affligeons notre prochain, disait-il, nous poursuivent ainsi que notre ombre suit notre corps. — Les œuvres qui ont pour principe l’amour du semblable sont celles qui doivent être ambitionnées par le juste, car ce seront celles

  1. Bhagavadgita, liv. iv. Traduction d’Émile Burnouf. Cf. Schlegel et Wilkins.