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REVUE DES DEUX MONDES.

Krishna était devenu pensif. Il délia en souriant les bras de Sarasvati passionnément attachés à son cou. Puis il regarda tour à tour les deux femmes et enlaça ses deux bras autour d’elles. Il posa d’abord sa bouche sur les lèvres de Sarasvati, puis sur les yeux de Nichdali. Dans ces deux longs baisers, le jeune Krishna parut sonder et savourer toutes les voluptés de la terre. Tout à coup, il frémit et dit :

— Tu es belle, ô Sarasvati ! toi dont les lèvres ont le parfum de l’ambre et de toutes les fleurs ; tu es adorable, ô Nichdali, toi dont les paupières voilent les yeux profonds et qui sais regarder au dedans de toi-même. Je vous aime toutes les deux. Mais comment vous épouserais-je, puisque mon cœur devrait se partager entre vous ?

— Ah ! il n’aimera jamais ! dit Sarasvati avec dépit.

— Je n’aimerai que d’amour éternel.

— Et que faut-il pour que tu aimes ainsi ? dit Nichdali avec tendresse.

Krishna s’était levé ; ses yeux flamboyaient.

— Pour aimer d’amour éternel ? dit-il. Il faut que la lumière du jour s’éteigne, que la foudre tombe dans mon cœur et que mon âme s’enfuie hors de moi-même jusqu’au fond du ciel !

Pendant qu’il parlait, il parut aux jeunes filles qu’il grandissait d’une coudée. Tout à coup, elles eurent peur de lui et rentrèrent chez elles en pleurant. Krishna prit seul le chemin du mont Mérou. La nuit suivante, les Gopis se réunirent pour leurs jeux, mais vainement elles attendirent leur maître. Il avait disparu, ne leur laissant qu’une essence, un parfum de son être : les chants et les danses sacrées.

IV. — INITIATION.

Cependant, le roi Kansa, ayant appris que sa sœur Dévaki avait vécu chez les anachorètes et n’ayant pu la découvrir, se mit à les persécuter et à les chasser comme des bêtes fauves. Ils durent se réfugier dans la partie la plus reculée et la plus sauvage de la forêt. Alors leur chef, le vieux Vasichta, quoique âgé de cent ans, se mit en route pour parler au roi de Madoura. Les gardes virent avec étonnement un vieillard aveugle, guidé par une gazelle qu’il tenait en laisse, apparaître aux portes du palais. Frappés de respect pour le rishi, ils le laissèrent passer. Vasichta s’approcha du trône où Kansa était assis à côté de Nysoumba et lui dit :

— Kansa, roi de Madoura, malheur à toi, fils du Taureau qui persécute les solitaires de la forêt sainte ! Malheur à toi, fille du Ser-