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prises chez les anachorètes. Et les pâtres, qui conduisaient leurs troupeaux sous les cèdres du mont Mérou, disaient : « Quelle est cette mère et quel est son fils ? Quoique vêtue comme nos femmes, elle ressemble à une reine. L’enfant merveilleux est élevé avec les nôtres, et cependant il ne leur ressemble pas. Est-ce un génie ? Est-ce un dieu ? Quel qu’il soit, il nous portera bonheur. » Quand Krishna eut quinze ans, sa mère Dévaki fut rappelée par le chef des anachorètes. Un jour elle disparut sans dire adieu à son fils. Krishna, ne la voyant plus, alla trouver le patriarche Nanda et lui dit :

— Où est ma mère ?

Nanda répondit en courbant la tête :

— Mon enfant, ne m’interroge pas. Ta mère est partie pour un long voyage. Elle est retournée au pays d’où elle est venue, et je ne sais pas quand elle reviendra.

Krishna ne répondit rien, — mais il tomba dans une rêverie si profonde, que tous les enfans s’écartaient de lui comme saisis d’une crainte superstitieuse. Krishna abandonna ses compagnons, quitta leurs jeux et, perdu dans ses pensées, s’en alla seul sur le mont Mérou. Il erra ainsi plusieurs semaines. Un matin, il parvint sur une haute cime boisée d’où la vue s’étendait sur la chaîne de l’Himavat. Tout à coup, il aperçut près de lui un grand vieillard en robe blanche d’anachorète, debout sous les cèdres géans, dans la lumière matinale. Il paraissait âgé de cent ans. Sa barbe de neige et son front chauve brillaient de majesté. L’enfant plein de vie et le centenaire se regardèrent longtemps. Les yeux du vieillard se reposaient avec complaisance sur Krishna. Mais Krishna fut si émerveillé de le voir, qu’il resta muet d’admiration. Quoiqu’il le vît pour la première fois, il lui semblait connu.

— Qui cherches-tu ? dit enfin le vieillard.

— Ma mère.

— Elle n’est plus ici.

— Où la retrouverai-je ?

— Chez celui qui ne change jamais.

— Mais comment le trouver, Lui ?

— Cherche.

— Et toi, te reverrai-je ?

— Oui ; quand la fille du Serpent poussera le fils du Taureau au crime, alors tu me reverras dans une aurore de pourpre. Alors tu égorgeras le Taureau et tu écraseras la tête du Serpent. Fils de Mahadéva, sache que toi et moi nous ne faisons qu’un en Lui ! Cherche-le, — cherche, cherche toujours !

Et le vieillard étendit les mains en signe de bénédiction. Puis il