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arbre d’âge immémorial aux larges branches, que les saints rishis appelaient « l’arbre de vie. » Dévaki aimait à s’asseoir à son ombre. Souvent elle s’y assoupissait, visitée par des visions étranges. Des voix chantaient derrière les feuillages : « Gloire à toi, Dévaki ! Il viendra couronné de lumière, ce fluide pur émané de la grande âme, et les étoiles pâliront devant sa splendeur. — Il viendra, et la vie défiera la mort, et il rajeunira le sang de tous les êtres. — Il viendra plus doux que le miel et l’amrita, plus pur que l’agneau sans tache et la bouche d’une vierge, et tous les cœurs seront transportés d’amour. — Gloire, gloire, gloire à toi, Dévaki[1] ! » Étaient-ce les anachorètes ? Étaient-ce les Dévas qui chantaient ainsi ? Parfois il lui semblait qu’une influence lointaine ou une présence mystérieuse, comme une main invisible étendue sur elle, la forçait à dormir. Alors elle tombait dans un sommeil profond, suave, inexplicable, d’où elle sortait confuse et troublée. Elle se retournait comme pour chercher quelqu’un, mais ne voyait jamais personne. Seulement elle trouvait quelquefois des roses semées sur son lit de feuilles ou une couronne de lotus entre ses mains.

Un jour Dévaki tomba dans une extase plus profonde. Elle entendit une musique céleste, comme un océan de harpes et de voix divines. Tout à coup le ciel s’ouvrit en abîmes de lumière. Des milliers d’êtres splendides la regardaient, et, dans l’éclat d’un rayon fulgurant, le soleil des soleils, Mahadéva, lui apparut sous forme humaine. Alors, ayant été adombrée par l’Esprit des mondes, elle perdit connaissance, et dans l’oubli de la terre, dans une félicité sans bornes, elle conçut l’enfant divin[2].

Quand sept lunes eurent décrit leurs cercles magiques autour de la forêt sacrée, le chef des anachorètes fit appeler Dévaki : « La volonté des Dévas s’est accomplie, dit-il. Tu as conçu dans la pu-

  1. Atharva-Véda.
  2. Une remarque est indispensable ici sur le sens symbolique de la légende et sur l’origine réelle de ceux qui ont porté dans l’histoire le nom de fils de Dieu. Selon la doctrine secrète de l’Inde, qui fut aussi celle des initiés de l’Égypte et de la Grèce, l’âme humaine est fille du ciel, puisque avant de naître sur la terre elle a eu une série d’existences corporelles et spirituelles. Le père et la mère n’engendrent donc que le corps de l’enfant, puisque son âme vient d’ailleurs. Cette loi universelle s’impose à tous. Les plus grands prophètes, ceux-là même en qui le Verbe divin a parlé, ne sauraient y échapper. Et, en effet, du moment que l’on admet la préexistence de l’âme, la question de savoir quel a été le père devient secondaire. Ce qu’il importe de croire, c’est que ce prophète vient d’un monde divin. Et cela, les vrais fils de Dieu l’affirment par leur vie et par leur mort. — Mais les initiés antiques n’ont pas cru devoir faire connaître ces choses au vulgaire. Quelques-uns de ceux qui ont paru dans le monde comme des envoyés divins furent des fils d’initiés, et leurs mères avaient fréquenté les temples afin de concevoir des élus.