Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/293

Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
LA LÉGENDE DE KRISHNA.

nifestations violentes et terribles. Ce culte penchait vers l’idolâtrie et la magie noire, favorisait la polygamie et la tyrannie appuyées sur les passions populaires. — La lutte entre les fils du soleil et les fils de la lune, entre les Pandavas et les Kouravas, forme le sujet même de la grande épopée indoue, le Mahabhârata, sorte de résumé en perspective de l’histoire de l’Inde aryenne avant la constitution définitive du brahmanisme. Cette lutte abonde en combats acharnés, en aventures étranges et interminables. Au milieu de la gigantesque épopée, les Kouravas, les rois lunaires, sont vainqueurs. Les Pandavas, les nobles enfans du soleil, les gardiens des rites purs, sont détrônés et bannis. Ils errent exilés, cachés dans les forêts, réfugiés chez les anachorètes, en habits d’écorce, avec des bâtons d’ermite.

Les instincts d’en bas vont-ils triompher ? Les puissances des ténèbres représentées dans l’épopée indoue par les Rakshasas noirs vont-elles l’emporter sur les Dévas lumineux ? La tyrannie va-t-elle écraser l’élite sous son char de guerre, et le cyclone des passions mauvaises broyer l’autel védique, éteindre le feu sacré des ancêtres ? Non, l’Inde n’en est qu’au début de son évolution religieuse. Elle va déployer son génie métaphysique et organisateur dans l’institution du brahmanisme. Les prêtres qui desservaient les rois et les chefs sous le nom de pourohitas (préposés au sacrifice du feu) étaient déjà devenus leurs conseillers et leurs ministres. Ils avaient de grandes richesses et une influence considérable. Mais ils n’auraient pu donner à leur caste cette autorité souveraine, cette position inattaquable au-dessus du pouvoir royal lui-même, sans le secours d’une autre classe d’hommes qui personnifie l’esprit de l’Inde dans ce qu’il a de plus original et de plus profond. Ce sont les anachorètes.

Depuis un temps immémorial, ces ascètes habitaient des ermitages au fond des forêts, au bord des fleuves ou dans les montagnes, près des lacs sacrés. On les trouvait tantôt seuls, tantôt assemblés en confréries, mais toujours unis dans un même esprit. On reconnaît en eux les rois spirituels, les maîtres véritables de l’Inde. Héritiers des anciens sages, des rishis, eux seuls possédaient l’interprétation secrète des Védas. En eux vivait le génie de l’ascétisme, de la science occulte, des pouvoirs transcendans. Pour atteindre cette science et ce pouvoir, ils bravent tout, la faim, le froid, le soleil brûlant, l’horreur des jongles. Sans défense dans leur cabane de bois, ils vivent de prière et de méditation. De la voix, du regard, ils appellent ou éloignent les serpens, apaisent les lions et les tigres. Heureux qui obtient leur bénédiction : il aura les Dévas pour amis ! Malheur à qui les maltraite ou les tue : leur malédiction, disent les poètes, poursuit le coupable jusque dans sa troisième incarnation.