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l’épuisement, en irritant les consciences, en désorganisant ou en laissant désorganiser toutes les forces publiques, a fini par pousser les populations déçues et découragées à se jeter sur un nom, le premier nom venu. La fortune de M. le général Boulanger n’est qu’une fantaisie, c’est possible : elle n’aurait pas même pu se produire il y a dix ans ; elle est le résultat et l’expiation des fautes d’un gouvernement obstiné de parti. Voilà la vérité ! Et quand des hommes plus réfléchis, plus prévoyans, prennent encore aujourd’hui la liberté de faire remarquer que devant ce danger inattendu, pressant, le moment serait sans doute venu de s’arrêter, de changer de direction, de raffermir tout ce qui a été ébranlé, survient à propos un ministère nouveau, plus radical que tous les autres, qui dit lestement : il faut aller à gauche, il faut marcher en avant ! Ce qu’on a fait ne suffit pas, il faut encore la revision constitutionnelle, puis la séparation de l’église et de l’état. On n’est pas un ministère progressif et démocratique à moins ! — En d’autres termes, la politique suivie jusqu’ici a manifestement créé cette situation troublée, où tout est devenu possible faute de frein, de fixité et de direction : c’est le moment de tout pousser à outrance et de courir l’aventure jusqu’au bout !

Au fond, c’est tout le sens et la moralité des déclarations de M. le président du conseil Floquet dans ces dialogues qui se sont engagés, il y a quelques jours, au Palais-Bourbon comme au Luxembourg, et qui ont été suivis d’un si plaisant vote de confiance. Au Palais-Bourbon, M. le président du conseil n’a pas eu beaucoup de peine : il s’est interpellé lui-même en provoquant les interpellations. Il a parlé presque tout seul ; il s’est contenté de quelques banalités emphatiques et décousues sur l’orientation à gauche, sur la « marche en avant, » en s’arrangeant toutefois pour ne pas désespérer ceux qui ne veulent pas aller trop vite. Au Luxembourg, la question a été plus sérieusement posée par un Girondin, M. Trarieux, et par M. Léon Renault ; elle a été précisée par l’un et par l’autre avec autant de netteté que de force. Les deux sénateurs ont eu la curiosité de savoir ce que M. Floquet pensait de la situation du pays, ce qu’il comptait faire du sénat avec la révision, comment il entendait réaliser son programme de réformes radicales, quels moyens il tenait en réserve pour rassurer les esprits et garantir la paix publique. C’est M. Trarieux qui a ouvert le débat d’une parole ferme et décidée ; c’est M. Léon Renault qui l’a clos par un entraînant exposé des résultats de tous les faux systèmes, de la situation et des dangers du jour. L’un et l’autre, ils ont saisi l’occasion de tracer pour le pays le programme de la seule politique possible et nécessaire, d’une politique de modération prévoyante et préservatrice. Qu’a répondu M. le président du conseil ? Il ne s’est expliqué, en réalité, sur rien, ni sur la revision, qu’il appelle par euphémisme une « revision démocratique, » ni sur la séparation de l’église et de l’état,