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Quoi qu’il en soit, si Pasquier s’est voué à démontrer que les Gaulois des forêts eurent une littérature aussi belle que les Romains d’Auguste, il n’a pas songé à contester que ses contemporains eussent beaucoup à apprendre de ceux-ci : « Les écoles grecques et latines nous sont nécessaires. Si nous avions reçu tant d’heur que toutes les fleurs et beautés qui sont en icelles étaient transplantées dans notre France, nous aurions grandement raccourci notre chemin. Et parce qu’elles ne le sont pas aujourd’hui pour le moins donnons ordre avec le temps d’y satisfaire. » Seulement, il ne s’agissait pas de s’encombrer la cervelle de lambeaux arrachés aux anciens, puis de les coudre à ses écrits comme des textes de la Bible. Le président Christophe de Thou, père de l’historien, raffolait des citations de cette sorte : plus les avocats les multipliaient en leurs plaidoiries, plus il était content ; et naturellement chacun d’eux s’empressait à flatter sa manie. Pasquier appelait cela du rapetassage, et, lorsque le président mourut, il s’écria franchement : « Puisse ce genre d’éloquence être enseveli avec notre président !.. Pendant que nous nous amusons à alléguer ainsi les anciens, nous ne faisons rien d’ancien. » En effet, les anciens pensaient par eux-mêmes ; il fallait arriver à faire comme eux en s’inspirant d’eux ; il fallait se nourrir véritablement de leur moelle et de leur sang, s’en faire du sang et de la moelle ; il ne suffisait pas de les avaler par morceaux : ce que l’estomac ne digère pas ne profite point. Platon, Horace, Sénèque, avaient pensé de même ; Bossuet et Fénelon ne penseront pas différemment, et, pour exprimer leur sentiment, c’est tantôt du travail de l’abeille, tantôt de celui de l’estomac, qu’ils ont tiré des comparaisons.


III.

Certaines digressions ne font pas sortir du sujet qu’on traite. C’est le cas, semble-t-il, puisque Étienne Pasquier fut un Gaulois nourri des anciens, de se demander ce que l’humeur gauloise et l’éducation par les anciens peuvent avoir qui se convienne et se répugne, et si la combinaison de l’une avec l’autre a des chances de produire de bons effets. On écrirait sans doute un volume sur la question ; il ne saurait s’agir ici que d’en effleurer les sommets. En deux lignes, anciens et Gaulois paraissent avoir de commun surtout le génie du bel ordre et de la clarté, et de très différent le degré d’élévation du génie.

Ainsi que les Grecs et les Latins, nos Gaulois ont le goût du clair, le dégoût de l’obscur, la tendance à simplifier, à borner, à ordonner