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sommes, et Pasquier le savait, et nul ne l’ignore, une race croisée, recroisée et encore croisée. Les moins Gaulois des Français actuels sont bien, ce semble, les Bretons, race rêveuse et de gestes graves, et cependant n’est-ce pas d’après ces Celtes qu’il convient de nous faire une imagination des Gaulois leurs frères? l’homme dit Gaulois est donc très mal nommé : il n’a rien ou presque rien du Gaulois, du Gallus; c’est Gallo-Romain qu’il faudrait l’appeler, car c’est bien au Gallo-Romain qu’il ressemble le plus, au Gallo-Romain en qui rien ne se retrouve du Gallus, et qui n’est, à bien prendre, qu’un Romain, mais un Romain de paix et de jouissance, un Romain déchu et content. Plante, le comique favori de la plèbe romaine, de cette plèbe qui a passé son âme au Gallo-Romain, est presque un Gaulois. Une grande partie de la race gallo-romano-franque ou française, le peuple et la moyenne classe des villes surtout, garda le dépôt de l’esprit gallo-romain en l’augmentant encore d’un supplément de bonne humeur, supplément venu peut-être pour une part du bon équilibre du sang que le mélange des races avait produit ; elle garda cet esprit à travers tout le moyen âge, pendant qu’à côté d’elle circulaient les grands courans de passion chevaleresque et de passion religieuse créés par les traditions franques et par l’inspiration évangélique. Pasquier fut un de ceux qui héritèrent, au XVIe siècle, de l’esprit gallo-romain : il se le reconnut, l’aima en lui, et, comme tout le monde, l’appela gaulois. Cette appellation si défectueuse doit certainement son origine, les ouvrages de Pasquier suffiraient à le démontrer, au sentiment de vanité qui persuade les hommes de reculer aussi loin que possible dans la nuit des temps la chaîne des ancêtres.

Ce n’est pas seulement parce que Pasquier écrivit les Ordonnances d’amour et badina en vers sur la puce de Mlle des Roches, qu’il nous apparaît comme un Gaulois. L’attirail varié des farces grasses, dites gauloiseries, que les générations de nos pères se sont légué comme un précieux héritage en se passant la consigne qu’il en fallait rire, est bien l’un des attributs du Gaulois, mais non son attribut essentiel. De l’avoir su créer et de s’en pouvoir réjouir avec autant de persistance demandait, à la vérité, la gaité facile et large, ou, si l’on veut, « la vieille gaîté française, « et je ne sais aucun peuple du monde qui fût, à l’égal du nôtre, capable de s’amuser franchement et longtemps des apothicaires et de leurs œuvres ou de la substance la plus grossière de la trame de l’amour. Mais les noms de Régnier, de Molière, de La Fontaine, viendraient immédiatement aux lèvres de qui ne croirait pas superflu de prouver que la « vieille gaîté française » a mis en œuvre d’autres objets. Pasquier lui indiqua formellement sa voie : elle devait s’inspirer de