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de pareils hommes. Il en faut pour perfectionner notre organisation commerciale et l’amener à un point tel que nous puissions nous procurer au taux le plus minime possible les nécessités et le confort de la vie[1]. »

Ces protestations éloquentes et sincères ont toutefois peu de chances de prévaloir contre les revendications socialistes, et de calmer les appréhensions, plus dignes d’intérêt, de la grande masse du public, qui, aux États-Unis, s’alarme et s’inquiète de l’accumulation croissante des capitaux dans un petit nombre de mains-. Ces appréhensions se sont fait jour dans un curieux volume, publié à Boston par MM. Houghton, Mifflin et Cie, sous le titre de : Certain dangerous tendencies in American life. L’auteur insiste sur les dangers que font courir à la république et à l’ordre social les moyens d’action dont disposent des syndicats puissans, dirigés par des hommes colossalement riches. Il signale l’influence qu’ils exercent sur la presse, dont ils possèdent les principaux organes, et à l’aide de laquelle ils dirigent l’opinion publique et dictent des lois aux législateurs. A l’en croire, cette mainmise sur le pouvoir législatif serait absolue.

Il signale aussi, et avec non moins de force et de preuves à l’appui, l’idée, chaque jour plus répandue, qu’un gouvernement, fort est devenu nécessaire, que le suffrage universel n’a pas répondu à ce que l’on attendait de lui, que les masses, incapables de gouverner, confient le pouvoir aux médiocrités, qu’enfin la constitution n’a pu prévoir des périls inconnus à l’époque où on l’a rédigée et volée, et qu’elle ne fournit aucun moyen de les conjurer, il résume les aspirations actuelles des classes ouvrières et moyennes, qui réclament : la suppression des syndicats financiers; l’établissement d’une taxe progressive sur le revenu, et limitative quant au chiffre de la fortune ; l’interdiction de posséder et détenir au-delà d’une certaine quantité de terres.

Aux États-Unis comme ailleurs, et plus qu’ailleurs peut-être, les grandes fortunes, récentes et soudaines, ont éveille de terribles animosités, et cependant, aux États-Unis plus que partout ailleurs, elles sont, pour la plupart, aux mains de gens sortis des classes populaires, artisans de leur prospérité. Bien peu remontent à une ou deux générations, et, de toutes les aristocraties, celle de l’argent semble à coup sûr la plus démocratique, puisqu’elle seule est accessible à tous et que tous y peuvent prétendre. L’envie ne subirait donc pas à expliquer les sentimens complexes qu’inspire la ploutocratie aux masses américaines. Elles voient en elle un danger

  1. A plain man’s talk on the Labour question; Harper, New-York.