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déjà immensément riches, 250 millions de francs. Sa mort fut un événement à New-York, et le Sun, parlant de son testament, disait :

« Jamais homme ne signa pareil document. On a vu des rois mourir laissant d’immenses trésors, des empereurs ont pris la fuite emportant dans leurs fourgons des coffres regorgeant de richesses ; des financiers ont jonglé avec des millions ; des banquiers ont édifié des fortunes ; mais jamais on n’a vu un simple particulier distribuant à sa guise, en munificences incalculables, millions sur millions en espèces solides et palpables. L’imagination reste confondue devant ce ruissellement d’or, devant ces centaines de millions, mots dont le sens et la signification échappent à l’entendement, dont on ne peut se rendre compte qu’approximativement et par comparaison, réalités pourtant, que la volonté d’un homme distribue à droite et à gauche comme s’il s’agissait de pommes mûres. »


VIII.

Ainsi que tous les hommes partis de rien et parvenus à une fortune colossale, le fondateur de la dynastie des Vanderbilt eut des détracteurs et des ennemis, et ce n’est pas l’un des moins curieux spectacles que nous offre la démocratie américaine, celui d’un millionnaire défendu par les ouvriers ; des membres de la puissante corporation des Chevaliers du travail proclamant hautement l’utilité et la légitimité du capital. « De quel droit prodigue-t-on à cet homme des épi- thètes offensantes? S’écriait l’un d’eux dans un '‘meeting’' public. Les 10 millions d’ouvriers auxquels il amenait de Chicago les blés nécessaires à leur subsistance, les centaines de millions de voyageurs qu’il transportait sur ses bateaux à vapeur et ses chemins de fer, ont tous bénéficié de son esprit d’entreprise. Pas un sur cent mille ne l’a vu, ne le connaît, ne saurait juger l’homme privé, ses qualités ou ses défauts. Nous parlons des capitalistes comme si leur fortune ne profitait qu’à eux ; mais que faisait Vanderbilt des sommes énormes que marchandises et voyageurs accumulaient dans ses caisses? Il salariait des milliers d’ouvriers et d’employés, construisait une voie ferrée de New-York à Chicago, réduisait le prix des transports. Il édifiait un palais, dites-vous, et l’ornait d’œuvres d’art? Mais cela représentait une bien minime fraction des sommes employées par lui pour créer de nouveaux moyens de communication, construire des bateaux plus solides et plus vastes. S’il ne l’eût pas entrepris, un autre l’eût fait ; soit, mais, comme lui, cet autre en eût retiré les mêmes avantages. Souhaitons plutôt que le pays continue à produire