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mains le double monopole de la navigation et des voies ferrées. Quand la mort le prit, le 3 août 1876, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, le commodore, comme on l’appelait depuis plus d’un demi-siècle, n’était pas seulement l’homme le plus riche et le plus en vue des États-Unis, mais le président et le maître des plus importantes lignes de l’Union.

Né, le 27 mai 1794, d’une famille hollandaise émigrée aux États-Unis quatre-vingts ans auparavant, il fut le second d’une lignée de neuf enfans. Son père, modeste fermier de l’état de New-York, subvenait avec peine aux besoins de sa nombreuse famille. De bonne heure, Cornélius Vanderbilt dut se suffire à lui-même. La ferme paternelle était située sur les bords de l’Hudson; un chaland servait au transport des produits. Il obtint de son père qu’il lui en confiât le maniement, et il débuta par convoyer des passagers d’une rive à l’autre. Grand, vigoureux, bien découplé, marin consommé, il se fit remarquer par sa hardiesse, et, pendant la guerre de 1812, les autorités militaires de New-York s’en remirent à lui du soin de ravitailler les six forts qui couvraient la ville. Il s’en acquitta avec zèle et profit, et à dix-neuf ans il s’estimait assez bien dans ses affaires pour se marier.

A vingt-trois ans, il possédait 9,000 dollars et plusieurs chaloupes à voiles; mais l’apparition, sur les eaux de l’Hudson, des premiers bateaux à vapeur de Fulton et Livingston le fit réfléchir. Il; comprit la supériorité de ce moteur nouveau, vendit ses chaloupes et offrit ses services à un nommé Gibbons, possesseur d’un steamer, et qui entreprenait de lutter contre le monopole octroyé par l’état de New-York à Fulton et à son associé. Si, plus tard, Cornélius Vanderbilt apprécia fort les monopoles de fait et en usa largement, il était alors l’adversaire décidé des monopoles légaux; aussi Gibbons trouva en lui l’homme énergique dont il avait besoin pour soutenir ses droits et faire prospérer son entreprise. L’une des rives de l’Hudson relevait des autorités de New-York, l’autre de la juridiction de New-Jersey, et la législature de cet état ne reconnaissait pas à l’état voisin le droit de concéder un monopole sur une rivière limitrophe. Jusqu’en 1829, Vanderbilt lutta sans relâche, réduisant les prix de transport, augmentant sa fortune, accroissant le nombre et la qualité de ses bâtimens.

En 1846, nous le retrouvons établi à New-York. Ses affaires avaient dû prospérer, car, dans une liste des principaux habitans de cette ville, qui ne possédait alors qu’une population de 400,000 âmes, nous relevons son nom avec l’indication suivante : « Cornélius Vanderbilt, d’origine hollandaise, 750,000 dollars. » New-York ne comptait encore que seize individus dont la fortune dépassât 1 million