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de la réclame. Il vint trouver Bennett, et lui offrit une somme fixe pour l’insertion de ses annonces dans sa feuille. Une somme fixe, payée chaque semaine, c’était ce que cherchait vainement Bennett : un revenu régulier, le paiement du prote et du papier assuré, les angoisses du samedi écartées. L’offre fut promptement acceptée, et le New-York Herald prit son essor. Un an plus tard, le format du journal était doublé et aussi le prix de vente ; il tirait à vingt mille exemplaires, rapportant déjà 5,000 francs par semaine à son fortuné propriétaire.

Le 23 avril 1838, le premier navire à vapeur parti d’Europe à destination des États-Unis, le Sirius, jetait l’ancre dans le port de New-York. Le Great-Western le suivait à quelques heures d’intervalle, inaugurant l’ère des communications rapides. James Gordon Bennett s’embarqua sur le Sirius, visita la France et l’Angleterre, s’assura des correspondans réguliers, puis, de retour à New-York, fréta un yacht chargé d’intercepter au large les vapeurs à destination de New-York et d’assurer à son journal la primeur des nouvelles d’Europe. Rien ne lui coûta pour devancer ses rivaux. Absorbé dans son œuvre, il dépensait sans compter pour gagner quelques heures ou même quelques minutes, semant largement, récoltant de même. Entre ses mains, le Herald devenait une puissance, le journal le plus exactement renseigné, le plus lu des États-Unis.

Mieux que tout autre, cet Écossais à tête froide, à l’imagination ardente, avait saisi le côté pratique et positif de ses compatriotes d’adoption, leur besoin de faits précis, d’informations détaillées et circonstanciées. Les Américains ne sont pas de ceux qui croient avoir une opinion parce qu’ils ont lu un article de journal. Ce qu’ils demandent à leur presse, c’est de leur fournir les matériaux à l’aide desquels ils se font à eux-mêmes une opinion personnelle. Le New-York Herald répondait à ce besoin.

Son succès exaspérait ses rivaux, et son éditeur n’avait pas le triomphe modeste. Aux attaques violentes dirigées contre lui, à la campagne entreprise, en 1840, par neuf des principaux journaux de New-York, aux insultes qu’ils lui prodiguaient, il répondait par des chiffres, mettant en regard le tirage réuni de ses adversaires, qui s’élevait à 36,550 exemplaires quotidiens, et celui du Herald, qui, à lui seul, dépassait alors 51,000, raillant les efforts impuissans des retardataires et annonçant hautement son intention de révolutionner la presse américaine.

Il le faisait comme il le disait. Imbue des traditions anglaises, la presse des États-Unis en suivait encore fidèlement les erremens. Ses articles lourds et pesans, solides, argumentatifs et signés Honestus, Seœvola, Americus, Publius, Scipio, semblaient calqués