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fortunes de la vieille aristocratie anglaise ne s’accroissent plus guère; elles pâlissent à côté des fortunes industrielles. Quelques-unes mêmes s’écroulent, et, dans ces dernières années, on a vu à Londres, non sans stupeur, des femmes, portant des noms illustres, demander au commerce des moyens d’existence.

Après la ruine de son père, M. Henry Roe, grand industriel de Dublin, lady Granville Gordon n’a pas hésité à ouvrir à Londres un magasin de modes. Lady Mackenzie, de Scadwell, voyant ses revenus compromis par le non-paiement des fermages de ses terres d’Ecosse, a fait de même, sous le nom de Mme de Courcey, et a fondé dans Sloane-Street un établissement fort achalandé. Le premier moment de surprise passé, les élégantes, les femmes du monde se sont empressées de venir en aide à leurs compagnes en leur créant une clientèle. Un reporter du New-York Herald, rendant compte d’une entrevue avec lady Mackenzie, cite d’elle les appréciations suivantes[1] : « Nos fermiers de Ross-Shire sont hors d’état de nous payer nos fermages, et cependant ils sont sur nos terres de père en fils. Il n’y a pas de leur faute. Les récoltes ne sont pas mauvaises, mais l’importation des blés d’Amérique ne leur laisse aucun profit. Nous possédons de grandes chasses, mais le rappel inévitable des lois protectrices du gibier rendra sous peu impossible la location de ces chasses ; force nous est donc de travailler pour vivre. »

Ainsi dut faire l’aristocratie française pendant les rudes années de l’émigration. Ainsi fait lady Mackenzie, et elle est en voie de re- lever sa fortune, grâce à un caprice de la mode : le lea goivn, qui fait fureur à Londres. Ses amies l’ont adopté, mis en vogue, les commandes affluent. Portée d’abord de cinq à sept heures par les femmes élégantes, pour présider à la table de thé de l’après-midi, cette jaquette, en riche brocart, constitue une toilette originale qui tient le milieu entre la toilette de maison et celle de visite. Elle est maintenant admise pour les dîners intimes, surtout à la campagne. Dans les châteaux, les femmes la portent généralement à l’heure où les hommes reviennent de la chasse ; c’est une autorisation tacite, à eux octroyée, de se présenter au salon sans avoir endossé l’habit noir et la cravate blanche.


III.

Les millionnaires américains de nos jours ont eu des prédécesseurs, en petit nombre, il est vrai. L’un des premiers en date fut

  1. Voir le New-York Herald du 1er février 1888.