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serait par cela même supérieur, puisqu’il aurait plus de compréhension et plus d’étendue. D’autre part, au point de vue de la pratique et des faits, un système métaphysique en contradiction formelle avec les vraies tendances morales et sociales de l’homme n’est point viable au sein de l’humanité : l’humanité pratique ne consentira jamais, par exemple, à une philosophie de négation absolue, de désespoir absolu, qui serait la mort de toute activité. L’instinct même de conservation pour l’espèce s’y oppose, la sélection des idées élimine celles qui seraient funestes au genre humain. Donc, au point de vue théorique et au point de vue pratique, la moralité a le droit d’être prise en considération par le métaphysicien. De plus, l’antinomie complète entre la théorie et la pratique, entre la réalité ultime et la volonté normale des êtres intelligens, constituerait dans l’univers un dualisme improbable : il est donc à croire que la vraie métaphysique est d’accord, dans le fond, avec la vraie morale, c’est-à dire avec les vraies conditions de conservation ou de progrès pour la société humaine.

Nous pouvons même faire une part, en philosophie, à la célèbre doctrine de Kant sur la « primauté de la raison pratique; » mais nous l’interprétons simplement comme une doctrine métaphysique qui attribue à la volonté, à l’activité, la priorité par rapport à la pensée. Si vous cherchez, en effet, l’expression la plus rapprochée du fond de l’être, l’action vous paraîtra plus radicale que la pensée proprement dite. Mais cette conclusion doit dériver d’une analyse toute métaphysique, nullement d’un acte de foi moral a priori. En nous, la psychologie trouve que l’activité et la vie sont quelque chose de plus radical que la connaissance, car nous agissons et vivons alors même que nous ne connaissons pas notre action et ne réfléchissons pas sur notre vie. De même, en dehors de nous, la plante vit sans le savoir; le minéral agit sans le savoir. Et comme toute action, pour notre conscience réfléchie, ne peut se représenter que sous la forme d’un désir, d’un appétit, d’un vouloir plus ou moins obscur, il en résulte que le vouloir nous paraît partout antérieur au penser. Maintenant, de ce principe à la fois psychologique, scientifique et métaphysique, on peut tirer des conséquences morales. La moralité, en effet, est la plus haute manifestation de la volonté ou de l’activité; en même temps, dans l’acte moral, où la totalité de notre énergie est mise au service d’une idée universelle, la plus grande intensité du vouloir vient se confondre avec la plus grande universalité de la pensée; si donc c’est la volonté, si c’est l’action qui fait le fond de la vie et le fond même de l’être, nous voyons de nouveau qu’on ne peut traiter la moralité comme un phénomène superficiel et accidentel. Le métaphysicien a le droit