Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

façon de croire en s’aveuglant, ce devoir de contredire par nos paroles les dictées de notre intelligence. Ce qui est vrai, c’est qu’il faut, dans ces grandes questions qui intéressent la morale autant que la métaphysique, se garder avec plus de soin qu’ailleurs de toute négation précipitée : la négation de l’athée est, au fond, un dogmatisme aussi orgueilleux que l’affirmation du croyant, a Pour peu qu’il soit possible de croire en Dieu,» nous ne devons pas nier son existence ; de plus, nous devons désirer, nous devons vouloir que Dieu soit. Nous devons surtout agir comme s’il existait, et dire avec Diderot à la fin de son Interprétation de la nature : « O Dieu ! je ne sais si tu es, mais j’agirai comme si tu lisais dans mon âme, je vivrai comme si j’étais devant toi ! » Et, en effet, si le suprême idéal de la moralité et de l’amour n’est pas réel encore, il faut le créer ; au moins qu’il existe en moi, en vous, en nous tous, s’il n’existe pas dans l’univers ; peut-être alors finira-t-il par exister dans l’univers lui-même; peut-être la bonne volonté se révélera-t-elle comme la véritable expression de la volonté universelle; peut-être, à la fin, quand la lumière se sera faite, toutes les volontés se reconnaîtront-elles pour une seule et même volonté du bien dans des êtres différens. Non, l’homme ne peut dire avec certitude, pas plus au nom de la morale que de la métaphysique : « Dieu est ; » encore moins : « Dieu n’est pas ; » mais il doit dire, et en paroles, et en pensées, et en actions : — Que Dieu soit, fiat Deus !

De même pour l’immortalité. Je veux l’immortalité du bien et mon immortalité dans le bien ; mais en quoi cette volonté est-elle une « affirmation de la réalité de son objet ? » En quoi peut-elle constituer une certitude, même une certitude morale? MM. Renouvier et Secrétan invoqueront-ils l’idée de l’harmonie qui doit exister entre la vertu désintéressée et le bonheur ? Mais, si le devoir me commande catégoriquement et par lui-même un désintéressement absolu, comment pourrai-je précisément conclure de là une relation nécessaire de mon intérêt avec ce désintéressement ? Je n’ai qu’à obéir sans savoir ce qui adviendra, voilà tout. L’harmonie finale du bien et du bonheur peut sans doute être un objet d’inductions et de spéculations métaphysiques, mais mon choix moral ne change rien à la valeur intrinsèque de ces spéculations.

M. Secrétan sourit des philosophes qui se représentent la possibilité du progrès dans le monde et la réalisation à venir du bien idéal autrement que par la réalité certaine de Dieu et de la vie éternelle. « Le bien idéal, dit-il, n’a pas perdu son empire ; tout en lui refusant avec passion l’être permanent, on lui promet l’avenir. Notre espoir le plus aventureux semble le calcul d’un esprit positif au prix des rêves dont se bercent les Comte, les Spencer, les Guyau, sans se demander comment pourra se produire un état de choses