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parce que je le veux ; » c’est facile à dire, mais en quoi ma volonté peut-elle entraîner l’existence de son objet? l’amour d’une beauté idéale entraîne-t-il sa réalité? Un acte de foi peut-il faire une vérité? Entraîné par son cœur, le croyant confond l’acte de volonté qui décide de réaliser un idéal avec l’acte d’intelligence qui affirme la réalité de cet idéal en dehors de nous. La volonté a pour tâche de faire exister son objet, mais notre intelligence, elle, a pour tâche de voir ce qui existe, sauf à en déduire ou à en induire ce qui peut exister, ce qui doit exister.

La foi proprement dite, comme volonté libre de croire au-delà des motifs et mobiles de toutes sortes qui peuvent justifier l’induction, ne peut plus être que l’une ou l’autre de ces deux choses : soit un phénomène de vertige mental, soit un mensonge. M. Renouvier, qui a si bien reconnu ce vertige dans la foi de Pascal, ne s’aperçoit pas qu’il le conserve encore dans ses propres croyances. Tant qu’il y a des raisons, je n’ai pas besoin de la foi volontaire; quand il n’y en a plus, la foi en apparence volontaire n’est qu’une impression aveugle, et le vertige mental se réduit à un vertige mécanique. Cette vision qu’eut un jour Jules Lequier, cette vision d’une nécessité universelle dans laquelle nous ne pourrions faire un seul mouvement, paralysés par le tout, c’était sans doute, comme il le dit, un « prestige» et déjà un vertige; mais comment se dissipa en lui cette vision, sinon par un autre vertige, qui n(était que l’affirmation passionnée, non raisonnée, d’un libre arbitre encore plus prestigieux que la nécessité absolue des fatalistes? Cette application de la méthode morale, malgré toute sa poésie, est une preuve de ce qu’elle a de peu philosophique. Pascal, Rousseau, Jules Lequier, autant de penseurs qui prennent la passion pour la raison, la volonté désespérée de croire pour une première vérité. L’espèce de coup d’état intérieur par lequel Jules Lequier fait commencer la philosophie, c’est l’arbitraire installé au début même de la connaissance. Dès lors, toutes les imaginations pourront se donner carrière. Au lieu de poser comme lui le dilemme entre la « croyance nécessitée par les raisons » et la « croyance libre, » d’autres pourront poser des dilemmes entre la croyance qui serait notre œuvre et celle qui serait l’œuvre de la grâce. Ils diront : «Ou c’est moi qui affirme, ou c’est la grâce qui me fait affirmer; à choisir entre l’un et l’autre, par le moyen de l’un ou de l’autre, je préfère affirmer que j’affirme en vertu de la grâce. » Qui sait si d’autres encore n’imagineront pas, au lieu d’une inspiration divine, une inspiration diabolique, sous prétexte qu’après tout la non-existence du démon est scientifiquement indémontrable? Sans prétendre au dogmatisme, sans nous flatter de pénétrer dans « le temple auguste » de la certitude absolue, au moins devons-nous chercher