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qu’une admiration ingénue devant le plus mystérieux des mystères de la nature. L’acte qui perpétue l’espèce humaine et associe la créature au Créateur peut prendre, pour des âmes naïves, quelque chose de surnaturel, jusqu’à leur sembler l’hommage le plus agréable au Père de la vie.

Rien néanmoins ne prouve que tous les khlysty aient divinisé la génération et sanctifié la volupté. Loin de là, on ne saurait croire que toutes leurs communautés s’abandonnent « au péché en tas » [svalnyi grekh). Pour la plupart, ce qui a donné lieu à cette accusation, c’est, semble-t-il, qu’après leur radénié, qui dure parfois des nuits, frères et sœurs, épuisés par leurs danses ou leurs flagellations, se couchent et dorment ensemble. Cette habitude a dû être mal interprétée; elle prêtait du reste à des abus qui ont pu dénaturer le caractère de ces nocturnes assemblées, d’autant que la fustigation avec « de saintes orties, » comme disent les khlysty, n’a pas été seulement employée pour dompter la chair et provoquer l’extase. De ce que les accusations adressées aux flagellans paraissent le plus souvent peu méritées, il ne suit point qu’elles ne l’aient jamais été. La dévotion, on pourrait dire l’adoration d’un khlyst pour ses christs et ses prophètes est telle, qu’il se croit obligé d’obéir à toutes leurs paroles, comme à des inspirations de l’Esprit, alors même que leurs commandemens sembleraient contraires à la morale vulgaire. Chez quelques communautés de khlysty de même que chez les errans, l’ascétisme théorique a pu faire place à une sorte de religieuse luxure. Dans leur dédain du corps, qu’avec leurs notions manichéennes ils regardent souvent comme une création de Satan, certains de ces grossiers mystiques ont pu se persuader que l’âme, faite par Dieu et à son image, ne saurait être souillée par les souillures du corps. Pour d’autres, le péché de la chair a pu être un moyen de dompter l’orgueil de l’esprit, car il est plusieurs sentiers pour mener du mysticisme à des maximes ou à des rites impurs. Aussi ne saurait-on s’étonner si, dans les secrètes assemblées des khlysty du peuple ou du monde, les chastes noms de charité et de dilection chrétiennes ont parfois couvert d’indécentes pratiques.

Les « embrassemens fraternels et les baisers angéliques » ont pu çà et là prendre place dans le rituel. La communion des sexes a pu compléter la communion des âmes, et l’holocauste de la chair achever le sacrifice spirituel. Selon les dépositions recueillies par le saint-synode au XVIIIe siècle, certaines communautés de khlysty avaient pour coutume de clore les rondes sacrées par un souper en commun ; et ces agapes terminées, les frères et les sœurs s’abandonnaient librement aux délices de « l’amour en Christ. » De semblables