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à se parer autrefois, beaucoup les rejettent pour s’intituler simplement chrétiens, disant que les vieux-croyans sont les gens de l’église, ou encore ceux de l’ancienne loi, les juifs. Le reproche de faire consister la religion dans les cérémonies, nombre de sans-prêtres, et même de popovtsy, le renvoient avec dédain à la hiérarchie officielle. Les non-prians ne sont pas seuls à transformer les dogmes et les sacremens en symboles. Il s’en trouve d’autres pour dire que la vraie communion, c’est de se nourrir de la parole du Christ et de vivre selon sa loi. Quelques-uns vont, dans leurs controverses avec les orthodoxes, jusqu’à infirmer l’autorité de l’écriture, prétendant qu’il faut croire, avant tout, à l’évangile écrit dans le cœur. L’extrême gauche du schisme aboutit aux mêmes conclusions que des sectes radicales parties du pôle opposé.

Si tout mysticisme n’a pas disparu de la bezpopovtchine, il s’y allie souvent avec un rationalisme ingénu. Cette combinaison de rationalisme et de mysticisme semble même un des traits du caractère religieux de la Russie moderne. La masse des raskolniks est assurément loin d’avoir dépouillé toutes les traditions et les préventions de l’ancienne foi ; mais, presque partout, s’insinuent chez eux des idées étrangères à leurs pères. Dans les vieilles outres fermente un vin nouveau qui risque de les faire éclater.


IV.

Le schisme provoqué par la réforme liturgique de Nikone n’est que l’étage supérieur du dissent russe. Au-dessous des vieux-croyans, hiérarchiques ou « sans-prêtres, » viennent des sectes étrangères à la rébellion du XVIIe siècle, sectes d’une autre origine, d’un autre esprit, parfois plus gnostiques que chrétiennes, qui montrent le caractère populaire sous une face nouvelle[1]. De ces hérésies, les unes sont rationalistes, les autres mystiques. La plus curieuse de ces dernières est la secte des khlysty ou flagellans. Leur doctrine est secrète, et ils ne veulent d’autre livre que le livre de vie écrit au fond des âmes. Ils se donnent à eux-mêmes le nom de christs ou d’hommes de Dieu, lioudi Bojii, et croient à d’incessantes incarnations. Ils ont besoin de personnifier la divinité dans un homme; chacune de leurs communautés a son christ en chair et en os.

Cette grossière hérésie semble parfois aboutir aux mêmes conclusions que les raffinemens symboliques de tel philosophe. Il semble que, d’après l’enseignement de certains kidysty, il dépende de l’homme de s’unir à la divinité et de l’incarner dans ses membres. Chez eux, cette incarnation spirituelle est en quelque sorte facultative;

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1875.